Johnson c République Du Ghana (Requête N° 016/2017) [2017] AfCHPR 125 (28 septembre 2017)

Johnson c République Du Ghana (Requête N° 016/2017) [2017] AfCHPR 125 (28 septembre 2017)





AFRICAN UNION



UNION AFRICAINE

UNIÃO AFRICANA

AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS

COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES







AFFAIRE



DEXTER EDDIE JOHNSON

C.

RÉPUBLIQUE DU GHANA









REQUÊTE N° 016/2017





ORDONNANCE PORTANT MESURES PROVISOIRES



28 SEPTEMBRE 2017





La Cour composée de : Sylvain ORÉ, Président, Ben KIOKO, Vice-président, Gérard NIYUNGEKO, El Hadji GUISSÉ, Rafậa BEN ACHOUR, Solomy B. BOSSA, Ângelo V. MATUSSE, Ntyam S. O. MENGUE, Marie-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA- Juges; et Robert ENO, Greffier.



En l’affaire :

DEXTER EDDIE JOHNSON

Représenté par Saul LEHRFREUND, Co-Executive Director, The Death Penalty Project

C.

RÉPUBLIQUE DU GHANA

Non représentée

Après en avoir délibéré,



rend la présente ordonnance :



I. LES PARTIES



1. M. Dexter Eddie Johnson (ci-après dénommé « le Requérant ») est un citoyen ghanéen et britannique qui a introduit cette requête contre la République du Ghana (ci-après dénommé « le Défendeur »).



2. Le Défendeur est devenu partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommé « la Charte »), le 1er mars 1989, au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole »), le 16 août 2005. Il a également déposé la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les affaires venant des individus et des organisations non gouvernementales. De plus, le Défendeur est devenu partie au Pacte international des droits civils et politiques (ci-après dénommé « le Pacte »), le 7 septembre 2000.



II. OBJET DE LA REQUETE



3. Le Requérant dit qu’il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à la peine capitale.1 La Cour d’appel et la Cour suprême du Ghana ont confirmé respectivement la déclaration de culpabilité ainsi que la peine le 16 juillet 2009 et le 16 mars 2011. Le Requérant, dans le couloir de la mort, est en attente de d'exécution.



4. Le Requérant allègue, entre autres, que l'imposition de la peine capitale obligatoire, sans tenir compte des circonstances de l'infraction ou du délinquant, viole:



(a) le droit au respect de sa vie protégé à l'article 4 de la Charte;



(b) l'article 5 de la Charte qui proscrit les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants ;



(c) le droit à un procès équitable protégé à l'article 7 de la Charte;



(d) l'article 1 de la Charte, pour avoir manqué à l’obligation de faire respecter les droits susmentionnés.



(e) le droit à la vie protégé à l'article 6(1), le droit à la protection contre les peines inhumaines en vertu de l'article 7, le droit à un procès équitable en vertu de l'article 14(1), et le droit à la révision de la peine prononcée conformément à l'article 14(5) du Pacte; et



(f) le droit à la vie protégé par l'article 3 et à la protection contre les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants prescrit à l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (ci-après dénommée « la Déclaration universelle»).



III. SUR LA PROCÉDURE



5. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 26 mai 2017.



6. Conformément à l'article 36 du Règlement de la Cour, (ci-après dénommé « le Règlement » par notification datée du 22 juin 2017, le Greffe a signifié la requête au Défendeur, attirant son attention sur la demande de mesures provisoires faites par le Requérant en indiquant qu’il avait la possibilité d’y répondre s’il souhaitait le faire, dans un délai de quinze (15) jours. Il était demandé en outre au Défendeur de communiquer les nom et adresse de ses représentants dans les trente (30) jours à compter de la date de réception de la notification et de répondre à la requête dans les soixante (60) jours suivant réception de la notification. Le Défendeur ne s’est toujours pas conformé à ces instructions.



IV. SUR LA COMPÉTENCE



7. Lorsqu’elle est saisie d’une requête, la Cour doit procéder à un examen préliminaire de sa compétence sur le fond de l’affaire.



8. Toutefois, avant d'ordonner des mesures provisoires, la Cour n'a pas à se convaincre qu'elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement s’assurer qu'elle a compétence prima facie2.



9. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».



10. La Cour note que les droits allégués violés sont protégés par les articles 1, 4, 5 et 7 de la Charte, les articles 6(1), 7, 14(1) du Pacte et les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle.



11. Tel que indiqué dans le paragraphe 2 de la présente ordonnance, l’État défendeur est devenu partie à la Charte le 1er mars 1989 et au Protocole le 16 août 2005 ; le 10 mars 2011, il a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non gouvernementales. En outre, le Défendeur est devenu partie au Pacte le 7 septembre 2000.



12. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a prima facie compétence pour examiner la requête.



V. SUR LES MESURES PROVISOIRES DEMANDÉES



13. Le Requérant a demandé à la Cour :


« (i) d’ordonner au Défendeur de surseoir à l'exécution de la sentence de mort tant que sa requête sera pendante devant la Cour; et


(ii) d’ordonner au Défendeur d’informer la Cour dans les 30 jours de la réception de la présente ordonnance provisoire des mesures prises pour la mettre en œuvre ».



14. En vertu de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51(1) de son Règlement, la Cour peut d’office ordonner des mesures provisoires « dans les cas d’extrême gravité et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes » et … « qu’elle estime devoir être adoptées dans l’intérêt des parties ou de la justice ».



15. Il appartient à la Cour de décider d’ordonner des mesures selon les circonstances de chaque affaire.



16. Le Requérant est condamné à la peine capitale et la requête semble révéler une situation d’extrême gravité, ainsi qu'un risque de dommages irréparables pour lui.



17. Compte tenu des circonstances de l’espèce qui révèlent un risque d’application de la peine capitale susceptible de porter atteinte à la jouissance des droits prévus aux articles 4, 5 et 7 de la Charte, 6(1), 7, 14(1) et 14(5) du Pacte et 3 et 5 de la Déclaration universelle la Cour décide d’exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 27(2) du Protocole.



18. La Cour constate en conséquence que la requête en l’espèce révèle une situation d'extrême gravité et présente un risque de violations irréparables et que les circonstances exigent une Ordonnance portant mesures provisoires, en application de l'article 27(2) du Protocole et de l'article 51 du Règlement, pour préserver le statu quo, en attendant la décision sur la requête principale.





19. La Cour rappelle que la présente Ordonnance est de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions que la Cour formulera sur sa compétence, la recevabilité et le fond de la Requête.



20. Par ces motifs,


La Cour,

Ordonne au Défendeur de:



À l'unanimité,


a) surseoir à l’application de la peine capitale à l’encontre du Requérant, jusqu’à ce que l’affaire soit entendue et jugée ;



À la majorité de sept (7) pour et quatre (4) contre, les juges Gérard NIYUNGEKO, Rafâa BEN ACHOUR, Marie Thérèse MUKAMULISA et Chafika BENSAOULA ont émis des opinions dissidentes.



b) de faire rapport à la Cour dans les soixante (60) jours à compter de la date de réception de la présente Ordonnance, sur les mesures prises pour la mettre en œuvre.









Ont signé:

Sylvain ORÉ, Président



Ben KIOKO, Juge, Vice-président



Gérard NIYUNGEKO, Juge



El Hadji GUISSÉ, Juge



Rafâa BEN ACHOUR, Juge



Solomy B. BOSSA, Juge



Angelo V. MATUSSE, Juge



Ntyam S. O. MENGUE, Juge



Marie-Thérèse MUKAMULISA, Juge



Tujilane R. CHIZUMILA, Juge



Chafika BENSAOULA, Juge



Robert ENO, Greffier



Fait à Arusha, le vingt-huitième jour du mois de septembre 2017, en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.



En application de l’article 28 (7) du Protocole et de l’article 60(5) du Règlement intérieur de la Cour, l’opinion dissidente conjointe des Juges Gérard NIYUNGEKO et Rafâa Ben ACHOUR et l’opinion dissidente conjointe des Juges Marie-Thérèse MUKAMULISA et Chafika BENSAOULA sont annexées au présent Ordonnance.

1 Par la Haute Cour d’Accra en procédure d’urgence.

2Voir requête n°002/2013 - Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye (ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) et requête n°006/2012 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) ; requête n°004/2011 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 25 mars 2011).

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