Balele c République-Unie De Tanzanie (Requête N° 026/2016) [2021] AfCHPR 21 (30 septembre 2021)

Balele c République-Unie De Tanzanie (Requête N° 026/2016) [2021] AfCHPR 21 (30 septembre 2021)



AFRICAN UNION



UNION AFRICAINE




UNIÃO AFRICANA

AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS

COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES




AFFAIRE



BERNARD BALELE


C.


RĖPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE


REQUÊTE N° 026/2016




ARRÊT




Shape1 30 SEPTEMBRE 2021

SOMMAIRE







La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella I. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Modibo SACKO – Juges ; et Robert ENO, Greffier,


Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement intérieur de la Cour1 (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD, Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.


En l’affaire :


Bernard BALELE,


assurant lui-même sa défense


contre


RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE


représentée par :

M. Gabriel P. MALATA, Solicitor General, Bureau du Solicitor General ;

Mme Sarah MWAIPOPO, Directrice, Division des affaires constitutionnelles et des droits de l’homme, Principal State Attorney, Cabinet du Principal State Attorney ;

M. Baraka LUVANDA, Ambassadeur, Directeur des affaires juridiques, Ministère des Affaires étrangères, Afrique de l’Est, Coopération régionale et internationale ;

Mme Nkasori SARAKIKYA, Directrice adjointe, Division des affaires constitutionnelles et des droits de l’homme, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney General ;

M. Richard KILANGA, Senior State Attorney, Cabinet de l’Attorney General ;

M. Elisha SUKU, fonctionnaire des affaires étrangères, Ministère des Affaires étrangères, Afrique de l’Est, Coopération régionale et internationale ;

Mme Blandina KASAGAMA, juriste, Ministère des Affaires étrangères, Afrique de l’Est, Coopération régionale et internationale.


après en avoir délibéré,


rend le présent arrêt :



LES PARTIES


Le sieur Bernard Balele (ci-après dénommé « le Requérant ») est un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête, purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité à la prison centrale de Butimba, dans la région de Mwanza, après avoir été reconnu coupable du crime de viol sur une mineure de sept (7) ans.


La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir des Requêtes émanant d’individus et d’organisations non gouvernementales (ci-après désignée « la Déclaration »). Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence sur les affaires pendantes ainsi que sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.2



OBJET DE LA REQUÊTE


Faits de la cause


Il ressort du dossier soumis à la Cour que le Requérant a été arrêté le 30 octobre 2008 et mis en accusation devant le Tribunal de district de Geita le 5 novembre 2008, dans l’affaire en matière pénale n° 560/2008 pour le délit de viol sur une mineure de sept (7) ans.


Le 12 février 2009, le Tribunal de district de Geita a reconnu le Requérant coupable du délit de viol, l’a condamné à la réclusion à perpétuité et à verser à la victime la somme de 100 000 shillings tanzaniens, à titre de compensation.


Le Requérant a déposé un recours devant la Haute Cour le 17 juin 2009. Le 24 mars 2010, la Haute Cour a rejeté l’appel du Requérant dans le recours en matière pénale n°115/2009 au motif qu’il n’avait pas déposé l’avis d’appel conformément aux exigences de l’article 361(1)(a) de la Loi portant Code de procédure pénale.


Le 13 septembre 2010, dans l’affaire Misc. Criminal Application n° 31/2010, la Haute Cour siégeant à Mwanza a autorisé le Requérant à déposer son avis d’appel hors délai.3


Le Requérant a introduit son recours en appel le 5 octobre 2010, devant la Haute Cour siégeant à Mwanza. Le 8 décembre 2010, la Haute Cour a rejeté l’appel en matière pénal n° 79/2010 du Requérant pour cause d’incohérences dans les dates mentionnées dans l’appel et parce que l’appel n’était pas signé par le Requérant.


Le 17 décembre 2010, le Requérant a formé le recours en matière pénale n° 81/2011 devant la Cour d’Appel. Le 12 mars 2013, la Cour d’Appel a accueilli le recours du Requérant car elle a estimé que la Haute Cour aurait dû radier l’appel de son rôle en raison des irrégularités, plutôt que de le rejeter.


En conséquence, la Cour d’appel a accordé au Requérant l’autorisation d’introduire un nouveau recours en appel devant la Haute Cour, ce qu’il a fait le 19 mars 2013. Le 7 août 2013, dans l’affaire en matière pénale n° 17/2013, la Haute Cour de Mwanza a rejeté l’appel du Requérant.


Le 9 octobre 2014, le Requérant a formé un nouveau recours devant la Cour d’Appel de Tanzanie siégeant à Mwanza. Dans son arrêt du 28 octobre 2014, dans l’affaire en matière pénale n°319/2013, la Cour d’appel a rejeté l’appel du Requérant dans son intégralité.


Le Requérant affirme avoir déposé un recours en révision de la décision de la Cour d’appel. Bien que cette affirmation du Requérant ne soit pas contestée par l’État défendeur, la Cour note que la preuve dudit recours ne figure nulle part dans le dossier devant elle.


Violations alléguées


Dans sa Requête introductive d’instance, le Requérant allègue que son droit à ce que sa cause soit entendue a été violé parce que la Cour d’appel n’aurait pas examiné tous les moyens d’appel séparément et les aurait plutôt combinés, ce qui constitue une violation de l’article 3(2) de la Charte.


Le Requérant soutient en outre que son droit à ce que sa cause soit entendue prévu par les articles 7(1)(c) et 8(d) de la Charte et les articles 1 et 107A(2)(d) de la Constitution de l’État défendeur a été violé, étant donné qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation juridique pendant la procédure engagée contre lui.


Dans son mémoire en réplique, le Requérant a précisé que son grief relatif à la violation alléguée de son droit à une représentation juridique est en rapport avec la procédure de révision de l’arrêt de la Cour d’appel et non l’absence de représentation pendant les procédures en première instance et en appel.



RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS


La Requête a été introduite le 22 avril 2016 et a été notifiée à l’État défendeur le 7 juin 2016.


Les Parties ont déposé leurs mémoires dans le délai fixé par la Cour.


La procédure écrite a été close le 23 juillet 2019 et les Parties en ont été dûment notifiées.



DEMANDES DES PARTIES


Dans sa Requête introductive d’instance, le Requérant demande à la Cour de rétablir la justice là où elle a été bafouée, d’annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à son encontre, et d’ordonner sa remise en liberté. Il demande également à la Cour d’accorder des réparations en vertu de l’article 27(1) du Protocole et de rendre toute autre ordonnance qui serait juste au regard des circonstances de la présente Requête.


Dans des observations ultérieures, déposées le 17 août 2017, le Requérant a informé la Cour qu’il avait décidé de retirer en partie sa demande de réparations et de ne conserver que les demandes visant à ce que la Cour rétablisse la justice là où elle a été bafouée en annulant à la fois la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à son encontre, et en le remettant en liberté.


Dans son mémoire en réponse sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour dire que :

la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’a pas compétence pour statuer sur la présente Requête ;

la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité stipulées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;

la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité stipulées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;

la Requête est irrecevable et rejetée au motif qu’elle est dénuée de tout fondement ;

la Requête est rejetée avec dépens.


S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de dire que :

Le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant garantis par l’article 1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

Le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant garantis par l’article 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

Le Gouvernement de la République Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant garantis par l’article 3(1)(2) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

Le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant garantis par l’article 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

Le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits du Requérant garantis par l’article 8(d) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

La Requête est rejetée, car elle est dénuée de tout fondement ;

La Cour ne fait pas droit aux demandes du Requérant ;

Le Requérant n’a droit à aucune réparation ;

Les frais de procédure sont mis à la charge du Requérant.

SUR LA COMPÉTENCE


La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :


La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.

En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.


La Cour relève également que conformément à la règle 49(1) du Règlement, elle « … procède à un examen préliminaire de sa compétence […] conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».4


Sur la base des dispositions ci-dessus, la Cour procède à un examen préalable de sa compétence et statue sur les exceptions y relatives, le cas échéant.


Dans la présente Requête, la Cour relève que l’État défendeur a soulevé deux exceptions d’incompétence matérielle.


Exceptions d’incompétence matérielle


L’État défendeur fait valoir que la Cour n’a pas compétence en l’espèce. Selon l’État défendeur, dans la présente Requête il est demandé à la Cour de siéger en tant que juridiction d’appel et de se prononcer sur des questions de droit et d’examiner des éléments de preuve déjà tranchés par la plus haute juridiction de l’État défendeur, la Cour d’appel de Tanzanie.



Citant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Ernest Francis Mtingwi c. Malawi5, l’État défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence d’appel pour recevoir et examiner des recours concernant des affaires déjà tranchées par les juridictions internes et/ou régionales.


L’État défendeur affirme également que la Cour n’a pas compétence pour annuler la déclaration d’inculpation et la peine prononcée à l’encontre du Requérant, et ordonner sa remise en liberté.


L’État défendeur affirme en outre que la présente Requête exige de la Cour qu’elle siège en tant que tribunal de première instance et statue sur des questions qui n’ont jamais été soulevées devant les juridictions internes.


Pour ces motifs, l’État défendeur demande que la Requête soit rejetée.


*


Dans son mémoire en réplique, le Requérant affirme que la Cour n’a pas une compétence ou un mandat similaire à celui d’une cour d’appel. Le Requérant affirme en outre que la Cour n’est pas une juridiction d’appel et que dans la présente Requête la Cour n’est pas appelée à siéger en tant que juridiction d’appel. Toutefois, il soutient que la Cour a compétence pour statuer sur la présente Requête car les droits dont il allègue la violation sont protégés par la Charte africaine et par d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.


Citant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Alex Thomas c. Tanzanie6, le Requérant précise que ses griefs devant la Cour de céans ont trait au fait que l’arrêt de la Cour d’appel de l’État défendeur a été rendu par erreur et que la Cour de céans est compétente pour déterminer si les procédures internes pertinentes sont conformes aux normes énoncées dans la Charte et dans d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.


Le Requérant a par ailleurs précisé que son allégation concernant le préjudice causé du fait de n’avoir pas bénéficié d’une représentation juridique ne concerne pas ses recours antérieurs en première instance et en appel, mais plutôt l’absence de représentation juridique dans la procédure d’introduction d’un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel. Il affirme que faute de représentation juridique dans ladite procédure, aucun suivi n’a été effectué et que par conséquent, ta tenue de l’audience traine.


Pour ces raisons, le Requérant soutient que la Cour est investie de la compétence de statuer sur cette question.


***


La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle a compétence pour connaître de toute Requête dont elle est saisie, à condition que les droits dont la violation est alléguée soient protégés par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État défendeur.7


La Cour relève que l’exception soulevée par l’État défendeur est double en ce qu’elle met simultanément en cause la compétence de la Cour pour siéger en tant que juridiction de première instance, ainsi que son pouvoir de siéger en tant que juridiction d’appel.


En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la Cour est invitée à siéger en tant que tribunal de première instance, la Cour réaffirme qu’ en vertu de l’article 3 du Protocole elle est compétente pour connaître des requêtes dont elle est saisie, dès lors qu’un requérant invoque une violation des droits protégés par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État défendeur.


Sur la question de savoir si la Cour exerce une compétence d’appel en examinant des griefs déjà tranchés par les juridictions internes de l’État défendeur, la Cour rappelle sa position, selon laquelle elle n’a pas compétence d’appel pour examiner des griefs relatifs aux questions tranchées par les juridictions internes.8 La Cour souligne cependant que même si elle n’est pas une juridiction d’appel vis-à-vis des tribunaux nationaux, elle conserve le pouvoir d’apprécier la pertinence des procédures internes par rapport aux normes énoncées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État concerné.9 En accomplissant cette tâche, la Cour ne devient pas pour autant une juridiction d’appel et n’a pas besoin de siéger en tant que telle.


Considérant les allégations du Requérant, qui mettent toutes en cause le droit à un procès équitable protégé par l’article 7 de la Charte, la Cour estime que lesdites allégations relèvent de sa compétence matérielle.10 La Cour conclut donc qu’elle a compétence matérielle en l’espèce et rejette l’exception soulevée par l’État défendeur.


Autres aspects de la compétence


La Cour fait observer qu’aucune des Parties n’a soulevé d’exception relative à sa compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, conformément à la règle 49(1) du Règlement, avant de procéder à l’examen de la Requête, elle doit s’assurer que tous les aspects de sa compétence sont remplis.

En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt, que le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole. La Cour rappelle en outre qu’elle a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucun effet rétroactif et aucune incidence sur les affaires introduites avant le dépôt de l’instrument de retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que le retrait ne prenne effet.11 Étant donné qu’un tel retrait de la Déclaration prend effet douze (12) mois après le dépôt de l’avis de retrait, la date d’effet du retrait de l’État défendeur était le 22 novembre 2020.12 La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en est donc pas affectée.


Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence personnelle pour examiner la présente Requête.


S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que toutes les violations alléguées par le Requérant sont survenues après que l’État défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les violations alléguées ont un caractère continu, le Requérant étant toujours condamné sur la base de ce qu’il considère comme une procédure inéquitable13. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence temporelle pour examiner la présente Requête.


Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État défendeur. Dans ces conditions, la Cour estime qu’elle a la compétence territoriale en l’espèce.


Au vue ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente Requête.



SUR LA RECEVABILITÉ


Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « La Cour statue sur la recevabilité des Requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».


Conformément à la règle 50(1) du Règlement14 « La Cour procède à un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au présent Règlement ».


L’article 50 (2) du Règlement, qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :


Pour être examinées, les requêtes doivent remplir toutes les conditions ci-après :

Indiquer l’identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;

Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;

Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;

Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;

Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;

Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;

Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.


Exceptions d’irrecevabilité de la Requête


L’État défendeur a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête. La première concerne l’exigence de l’épuisement des recours internes et la seconde, la question de savoir si la Requête a été déposée dans un délai raisonnable.


Exception tirée du non-épuisement des recours internes


L’État défendeur fait valoir que le Requérant soulève devant la Cour de céans des allégations de violations des droits à un procès équitable, en particulier le droit à une représentation juridique gratuite, qu’il n’a jamais soulevées devant la Haute Cour et la Cour d’appel de Tanzanie. L’État défendeur soutient que le Requérant aurait pu déposer un recours en inconstitutionnalité ou soulever son grief comme motif d’appel devant la Haute Cour ou la Cour d’appel.


L’État défendeur fait valoir que, le Requérant n’ayant exercé aucun des recours disponibles, la présente Requête ne remplit pas la condition de recevabilité prévue par la règle 40(5) du Règlement15 et doit donc être rejetée.


Dans son mémoire en réplique, le Requérant réfute les arguments de l’État défendeur. Il affirme qu’il n’a pas demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire parce que la loi sur l’assistance judiciaire ne prévoit aucune directive ou procédure dans ce sens. De plus, le Requérant allègue que la violation de son droit à l’assistance judiciaire concerne son recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel et non la procédure devant le Tribunal de première instance ou devant les juridictions d’appel.


***


La Cour relève que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête dont elle est saisie doit satisfaire à la condition d’épuisement des recours internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant leur juridiction avant qu’un organe international de défense des droits de l’homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard16.


La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans la mesure où les poursuites pénales à l’encontre d’un requérant ont été tranchées par la plus haute juridiction d’appel, l’État défendeur est réputé avoir eu la possibilité de remédier aux violations que le requérant allègue avoir été causées par ces poursuites.17


En l’espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour d’appel, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché lorsque cette juridiction a rendu son arrêt le 28 octobre 2014. Par conséquent, l’État défendeur a eu l’occasion de traiter les violations qui auraient découlé du procès et des appels du Requérant.


En ce qui concerne l’argument de l’État défendeur selon lequel le Requérant aurait dû introduire un recours en inconstitutionnalité pour demander réparation du fait qu’il n’avait pas bénéficié d’une assistance judiciaire lors de son procès et de ses appels, la Cour a précédemment jugé que le recours en inconstitutionnalité au sein du système judiciaire de l’État défendeur est un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de déposer leurs requêtes devant la Cour de céans.18 De même, la Cour a estimé qu’un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel est un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser19. La Cour estime donc que, bien que le recours en révision du Requérant était pendant au moment où il a déposé la présente Requête, le Requérant est réputé avoir épuisé les recours internes puisque la Cour d’Appel de Tanzanie, l’organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a confirmé la déclaration de sa culpabilité et la peine prononcée à son encontre à l’issue d’une procédure au cours de laquelle ses droits auraient été bafoués.


Ȧ la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception tirée du non-épuisement des recours internes soulevée par l’État défendeur.


Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non-raisonnable


L’État défendeur fait valoir qu’étant donné que la Requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l’épuisement des recours internes, la Cour devrait constater qu’elle n’a pas respecté les dispositions de la règle 40(6) du Règlement.20


L’État défendeur rappelle que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le 28 octobre 2014 et que la présente Requête a été déposée le 22 avril 2016. L’État défendeur relève qu’entre-temps, une période d’un (1) an, quatre (4) mois et 21 jours s’est écoulée entre la date du prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel et la saisine de la Cour de céans. S’appuyant sur la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans l’affaire Majuru c. Zimbabwe,21 l’État défendeur fait valoir que le délai imparti pour le dépôt des requêtes est de six (6) mois après l’épuisement des recours internes et que, par conséquent, le Requérant aurait dû déposer la présente Requête dans les six mois suivant l’arrêt de la Cour d’appel.


Le Requérant soutient qu’il a déposé sa Requête dans un délai raisonnable après son recours devant la Cour d’appel, la plus haute juridiction de l’État défendeur. De plus, le Requérant allègue qu’il attendait toujours que son recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel soit tranché.


***


La Cour fait observer que ni la Charte, ni le Règlement ne fixent de délai précis dans lequel les requêtes doivent être déposées après l’épuisement des recours internes. L’article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement disposent simplement que les Requêtes doivent être introduites « … dans un délai raisonnable depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine. »


La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « … le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas ».22


Il ressort du dossier devant la Cour de céans que le Requérant a épuisé les recours internes le 28 octobre 2014, date à laquelle la Cour d’appel a rendu son arrêt sur son dernier recours. Le Requérant a ensuite déposé la présente Requête le 22 avril 2016. La Cour doit déterminer si ce délai d’un (1) an, cinq (5) mois et vingt-cinq (25) jours est raisonnable au regard de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement.


La Cour a toujours tenu compte de la situation personnelle des requérants et a estimé que des requérants incarcérés, profanes en matière de droit et indigents, restreints dans leurs mouvements, n’auraient que peu ou pas d’informations sur l’existence de la Cour.23


Il ressort du dossier devant la Cour que le Requérant est incarcéré depuis 2008, et qu’il affirme être profane en matière de droit et indigent, ce que l’État défendeur n’a pas contesté. Au regard de ces circonstances, la Cour estime que le délai de 1 an, 5 mois et 25 jours dans lequel il a déposé sa Requête est raisonnable.


En conséquence, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’État défendeur, tirée du dépôt de la présente Requête dans un délai non raisonnable.


Autres conditions de la recevabilité


La Cour constate, au vu du dossier, que la conformité de la Requête aux exigences des alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 de l’article 56 de la Charte et qui sont reprises aux alinéas 50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement n’est pas contestée par les Parties. Toutefois, la Cour doit s’assurer que ces exigences ont été satisfaites.


Plus précisément, la Cour relève qu’il ressort du dossier que la condition prévue à l’article 50(2)(a) du Règlement est remplie, l’identité du Requérant étant clairement indiquée.


La Cour relève que les demandes formulées par le Requérant visent à protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’il est énoncé à l’article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples. Par conséquent, la Cour considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, et estime donc qu’elle satisfait à la condition énoncée à l’article 50(2)(b) du Règlement.


La Cour relève en outre que la Requête ne contient aucun terme outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, et qu’elle est donc conforme aux exigences de la Règle 50(2)(c) du Règlement.


S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2) (d) du Règlement, la Cour relève que la Requête ne se fonde pas exclusivement sur des informations diffusées par les médias de masse.


Enfin, s’agissant de l’exigence posée à l’article 50 (2)(g) du Règlement, la Cour constate que la présente Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.


La Cour en conclut que la Requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte, tel qu’il est repris à la règle 50 du Règlement et la déclare recevable.



SUR LE FOND


Le Requérant allègue la violation de son droit à une égale protection de la loi, inscrit à l’article 3(2) de la Charte ; de son droit à ce que sa cause soit entendue et de son droit à une assistance judiciaire, garantis par les articles 7(1)(c) et 8(d) de la Charte, qui sont repris aux articles 1 et 107A(2)(d) de la Constitution de l’État défendeur.




Violation alléguée du droit à un procès équitable


La Cour entend examiner d’abord la violation alléguée du droit à ce que la cause du Requérant soit entendue et ensuite la violation alléguée du droit à une assistance judiciaire. Ces allégations relèvent du droit à un procès équitable, qui est inscrit à l’article 7(1) de la Charte.


Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue


Le Requérant affirme que la première juridiction d’appel, à savoir la Haute Cour, a commis une erreur en confirmant sa condamnation sans tenir compte du fait que certains éléments fondamentaux n’avaient pas été établis conformément aux normes prévues par la loi. Le Requérant se réfère notamment à son identification visuelle par la victime, compte tenu du jeune âge et de la crédibilité de cette dernière. Le Requérant affirme également que l’affaire n’a pas été instruite dans les règles de l’art et que toutes les preuves n’avaient pas été évaluées de manière adéquate.


Le Requérant soutient en outre que l’arrêt de la Cour d’appel a été conçu et prononcé sur la base d’une erreur manifeste, qui a entraîné un déni de justice.


Le Requérant fait également valoir que dans le mémoire de son recours en date du 9 octobre 2014 devant la Cour d’appel, il avait présenté trois moyens différents. Toutefois, la Cour d’appel n’a ni examiné individuellement les différents moyens ni délibéré sur tous les moyens présentés.


Le Requérant soutient encore que la procédure adoptée par la Cour d’appel pour rejeter les deux autres moyens du recours avait violé son droit fondamental à ce que sa cause soit entendue.


Pour sa part, l’État défendeur soutient que les allégations du Requérant sont dénuées de fondement, car il n’a pas précisé en quoi l’arrêt rendu par la Cour d’appel était entaché d’erreurs. L’État défendeur affirme en outre qu’au regard du dossier, l’arrêt de la Cour d’appel du 28 octobre 2014 avait été rendu conformément à son Règlement de 2009.


L’État défendeur se réfère à différentes sections de l’arrêt de la Cour d’appel pour étayer l’argument selon lequel la Cour avait analysé de manière approfondie les preuves versées au dossier concernant les questions d’identification. Il soutient que la Cour d’appel a constaté que le témoignage du témoin à charge PW1 (la victime) était corroboré par celui du témoin à charge PW3. La Cour d’appel a également relevé que les faits s’étaient déroulés vers 18 heures alors qu’il ne faisait pas encore nuit et que le Requérant avait mis du temps à entrainer le témoin à charge PW1 sur le lieu du crime, ce qui a donné le temps à celui-ci de l’identifier.


L’État défendeur affirme également que le témoin à charge PW1 avait réussi à identifier le Requérant un jour après l’incident alors qu’il était en compagnie de deux autres personnes. L’État défendeur fait référence au fait que le Requérant avait tenté de s’enfuir lorsqu’il a aperçu le témoin à charge PW1.


Toujours selon l’État défendeur, le Requérant a bénéficié pleinement du droit à ce que sa cause soit entendue, étant donné qu’il était présent tout au long du procès et qu’il ressort clairement du dossier qu’il avait eu la possibilité de contre-interroger les témoins à charge, de citer des témoins à décharge et de contester les documents présentés par le Ministère public. L’État défendeur invoque des sections spécifiques de la procédure du Tribunal de première instance dans l’affaire en matière pénale n°560 de 2008, qui indiquent que le Requérant avait contre-interrogé différents témoins à charge (pages 7, 9, 11 et 12) ; qu’il avait eu la possibilité de s’opposer à la présentation du document PF3, le rapport d’examen médical, mais qu’il ne l’a pas fait (page 8) ; qu’il a déclaré : « Ma défense se fera sous serment » (page 13), qu’il a assuré lui-même sa défense (page 14), et qu’il avait clôturé sa présentation en déclarant : « je n’ai pas de témoin à citer, c’est la fin de ma défense » (page 14).


L’État défendeur soutient en outre que les juridictions de première instance et d’appel avaient correctement évalué et apprécié les preuves versées au dossier avant de rendre leurs jugements. Toujours selon l’État défendeur, la Cour d’appel avait rendu son arrêt après avoir examiné les procédures et les jugements rendus par la juridiction de première instance et par la Haute Cour.


L’État défendeur affirme également que la Cour d’appel avait examiné les moyens d’appel présentés sur la question de l’identification visuelle et avait discuté du voir-dire de la victime. Selon l’État défendeur, la Cour d’appel avait dûment analysé les preuves versées au dossier et elle n’était pas parvenue à sa décision par erreur.


Pour ces raisons, l’État défendeur soutient que l’allégation du Requérant selon laquelle son droit à ce que sa cause soit entendue a été violé n’est pas fondée et doit être rejetée.

***


Dans ses arrêts antérieurs, la Cour a estimé que :


« ... les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En tant que juridiction internationale des droits de l’homme, la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les détails et les particularités des preuves présentées dans les procédures internes ».24


Nonobstant ce qui précède, lorsqu’elle examine la manière dont la procédure interne a été menée, la Cour peut intervenir pour déterminer si cette procédure, y compris l’appréciation des preuves, a été en conformité avec les normes internationales en matière de droits de l’homme.


Il ressort du dossier devant la Cour de céans que le Ministère public avait cité quatre (4) témoins. Certes, seul le témoin à charge PW1, la victime, avait témoigné de la réalité du crime en cause, à savoir le viol, néanmoins, le Tribunal de district avait examiné la déposition du témoin à charge PW1 ainsi que celles d’autres témoins et conclu que le témoin à charge PW1 avait de bonnes chances d’identifier son violeur et qu’il s’agissait d’un témoin crédible. Lors du second appel devant la Haute Cour, la crédibilité du témoin à charge PW1 avait également été examinée et la Haute Cour avait conclu que celui-ci était un témoin digne de foi. La Cour d’appel avait quant à elle estimé qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause les conclusions des deux juridictions inférieures.


Compte tenu de la manière exhaustive dont la question de l’identification du Requérant et de la crédibilité du témoin à charge PW1 avait été examinée par trois juridictions du système judiciaire de l’État défendeur, la Cour conclut que la manière dont les preuves avaient été évaluées ne révèle pas d’erreurs manifeste nécessitant son intervention.


S’agissant de l’affirmation du Requérant selon laquelle la Cour d’appel n’a pas examiné ses trois moyens d’appel, la Cour relève que les différents moyens invoqués par le Requérant concernent tous l’évaluation des preuves. La Cour relève en outre qu’il ressort du dossier devant elle que la Cour d’appel avait évalué tous les éléments de preuve présentés avant de rendre son arrêt.


En conséquence, la Cour estime que le Requérant n’a pas apporté la preuve que l’État défendeur avait violé son droit à ce que sa cause soit entendue et rejette l’allégation en conséquence.


Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite


Le Requérant affirme que, n’ayant pas été représenté par un conseil, son droit à ce que sa cause soit entendue, qui est garanti par les articles 7(1)(c) et 8(d) de la Charte et aux articles 1 et 107A(2)(d) de la Constitution de l’État défendeur a été violé, ce qui lui a causé préjudice.

Dans sa réplique à la réponse de l’État défendeur, le Requérant précise qu’il ne soulève pas le grief en ce qui concerne la procédure devant le Tribunal de première instance ou devant les juridictions d’appel. Il souligne que son grief concerne plutôt l’absence de représentation lors de son recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel qui, selon le Requérant, n’avait toujours pas été entendue au moment de la soumission de son mémoire en réplique.


L’État défendeur conteste l’affirmation selon laquelle le Requérant s’est vu refuser le droit d’être représenté par un conseil.


L’État défendeur fait également valoir que l’assistance judiciaire sous la forme d’un avocat commis d’office est fournie de manière automatique sur son territoire dans les affaires de meurtre et d’homicide involontaire. Toutefois, pour toutes les autres infractions, cette assistance est soumise à une demande par l’accusé ou par l’appelant, qui doit également prouver qu’il est indigent et incapable de rémunérer les services d’un conseil.


L’État défendeur affirme en outre que le Requérant n’a pas été privé de son droit d’être défendu par un conseil de son choix. Il aurait pu demander une assistance judiciaire durant son procès et lors de ses appels devant la Haute Cour et devant la Cour d’appel, mais il ne l’a pas fait. Selon l’État défendeur, le Requérant aurait pu également soulever la question de la non-disponibilité d’une assistance judiciaire comme moyen d’appel devant la Haute Cour ou devant la Cour d’appel, ce qu’il n’a pas fait. L’État défendeur ajoute que le Requérant aurait pu contester l’absence d’assistance judiciaire en introduisant un recours en inconstitutionnalité, ce qu’il n’a pas fait non plus.


L’État défendeur demande à la Cour d’appliquer le principe de la marge d’appréciation et de considérer que même si l’État défendeur fournit un avocat sans qu’il soit nécessaire d’en faire la demande pour les infractions liées à l’homicide, cette même exigence relative à la demande d’assistance s’applique dans tous les autres cas. Ce système a été adopté délibérément par les décideurs et les législateurs en prenant en considération la capacité financière de l’État et le nombre d’avocats disponibles. Il a donc été jugé prudent de faire en sorte que les prévenus qui ont besoin d’une assistance judiciaire sous forme d’un avocat puissent en faire la demande. L’État défendeur affirme qu’il s’efforce d’assurer une protection des droits de manière progressive, en tenant compte des limites de sa propre capacité.


Pour ces raisons, l’État défendeur considère que cette allégation n’est pas fondée et qu’elle doit être rejetée.


***


La Cour fait observer que l’article 7(1)(c) de la Charte prévoit que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend: (...) c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».


La Cour relève que la Charte ne comporte pas d’article 8(d) et considère ce lapsus comme une erreur de la part du Requérant.


Le Requérant allègue également que le fait de ne pas lui avoir fourni une assistance judiciaire constitue une violation des articles 125 et 107A(2)(d)26 de la Constitution de l’État défendeur. Même si ces dispositions de la Constitution ne correspondent pas à l’article 7(1)(c) de la Charte, la Cour a conclu par le passé qu’elle n’applique pas le droit interne pour déterminer si l’État s’est conformé à la Charte ou à tout autre instrument relatif aux droits de l’homme qu’il a ratifié.27 La Cour n’appliquera donc pas les dispositions de la Constitution de l’État défendeur citées par le Requérant.


La Cour a interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)28 et a conclu que le droit à la défense comprend le droit à une assistance judiciaire gratuite.29


La Cour a également considéré que lorsque des personnes sont accusées de délits graves passibles de lourdes peines et qu’elles sont indigentes, une assistance judiciaire gratuite doit leur être fournie de plein droit, que les accusés en fassent la demande ou non.30


La Cour relève les dispositions de l’article 14(3)(d) du PIDCP qui prévoit que :

« Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer ».


La Cour fait observer que lorsqu’une personne est mise aux arrêts du fait qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction grave passible d’une lourde peine et qu’elle est indigente, elle doit pouvoir bénéficier rapidement d’une assistance judiciaire gratuite.31

La Cour relève également que même si le Requérant faisait face à une grave accusation de viol passible d’une lourde peine, aucun élément dans le dossier n’indique que dès son arrestation, il ait été dûment informé de son droit à l’assistance d’un conseil ou que s’il n’était pas en mesure de prendre en charge une telle assistance, celle-ci lui serait fournie gratuitement.


La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’obligation de fournir une assistance judiciaire gratuite aux personnes indigentes faisant l’objet d’accusations graves passibles d’une peine lourde s’applique tant en première instance qu’en appel.32


En l’espèce, la Cour note que le Requérant a précisé dans son mémoire en réplique qu’il allègue la violation de son droit à l’assistance judiciaire dans le cadre de la procédure relative au recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel et non pendant ses procès en première instance et en appel.


Toutefois, il ressort du dossier devant la Cour que le Requérant n’a pas fourni la preuve indiquant qu’il a formé un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel. En l’absence de telles preuves, la Cour ne peut établir qu’une telle procédure est pendante et que l’État défendeur n’a pas fourni d’assistance judiciaire gratuite.


À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Requérant n’a pas fourni d’élément de preuve permettant d’établir que l’État défendeur a violé son droit à la défense garanti par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en vertu duquel une assistance judiciaire gratuite doit lui être fournie.


Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi


La Cour note que le Requérant n’a pas fourni d’argument ni de preuve spécifique qu’il aurait été traité différemment des autres personnes se trouvant dans des conditions et des circonstances similaires.


Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une égale protection de la loi, inscrit à l’article 3(2) de la Charte.



SUR LES RÉPARATIONS


Le Requérant a retiré en partie sa demande de réparations. À titre de réparation non-pécuniaire, il demande à la Cour d’annuler la déclaration de sa culpabilité ainsi que la peine prononcée à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté.


Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de ne pas faire droit aux demandes du Requérant et de ne pas lui accorder de réparations.


***


L’article 27(1) du Protocole dispose : « Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».


La Cour, n’ayant constaté aucune violation des droits du Requérant par l’État défendeur, rejette les demandes de réparations du Requérant.



SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE


Le Requérant n’a pas présenté d’observations sur les frais de procédure.

L’État défendeur a demandé que les frais de procédure soient mis à la charge du Requérant.

***


Aux termes de la règle 32 du Règlement de la Cour, « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure. »


La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par cette disposition.


En conséquence, la Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.



DISPOSITIF


Par ces motifs :


LA COUR,


À l’unanimité,

Sur la compétence

Rejette les exceptions d’incompétence matérielle ;

Se déclare compétente.


Sur la recevabilité

Rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête;


Déclare la Requête recevable.





Sur le fond

Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue, garanti à l’article 7(1) de la Charte, en raison de la manière dont les preuves ont été appréciées durant la procédure interne.

Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la défense, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en vertu duquel une assistance judiciaire gratuite doit lui être fournie.

Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une égale protection de la loi, inscrit à l’article 3(2) de la Charte.


Sur les réparations

Rejette les demandes de réparations du Requérant.


Sur les frais de procédure

Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.



Ont signé :


Blaise TCHIKAYA, Vice-président ;


Ben KIOKO, Juge ;


Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ;


Suzanne MENGUE, Juge ;


M-Thérèse MUKAMULISA, Juge ;


Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;


Chafika BENSAOULA, Juge ;


Stella I. ANUKAM, Juge ;


Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;


Modibo SACKO, Juge ;


et Robert ENO, Greffier.



Fait à Arusha, ce trentième jour du mois de septembre de l’an deux mil vingt et un, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.

1 Article 8(2) de l’ancien Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.

2 Andrew Ambrose Cheusi c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), §§ 37 à 39.

3 Le dossier ne fait aucune mention de la date de dépôt de ce recours.

4 Article 39(1) de l’ancien Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.

5 Ernest Francis Mtingwi c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RJCA 197.

6 Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJCA 482.

7 Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie, CADHP, Requête n° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020, § 18.

8 Ernest Francis Mtingwi c. Malawi (compétence), §§ 14 à 16.

9 Armand Guehi c. United République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), (7 décembre 2018), 2 RJCA 493, § 33 ; Werema Wangoko Werema et autre c. République-Unie de Tanzanie (fond), (7 décembre 2018), 2 RJCA 539, § 29 et Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond), (20 novembre 2015), 1 RJCA 482, § 130.

10 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 130. Voir aussi, Mohamed Abubakari c. République-Unie de Tanzanie (fond), (3 juin 2016), 1 RJCA 624, § 29 ; Christopher Jonas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJCA 105, § 28 et Ingabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda (fond), (24 novembre 2017), 2 RJCA, 171, § 54.

11 Andrew Ambrose Cheusi c. République-Unie de Tanzanie, §§ 35 à 39.

12 Ingabire Victoire Umuhoza c. République-Unie du Rwanda (compétence), (3 juin 2016), 1 RJCA 585, § 67.

13 Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema alias Ablasse, Ernest Zongo, Blaise Ilboudo et Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (exceptions préliminaires), (21 juin 2013), 1 RJCA 204, §§ 71 à 77.

14 Article 40 de l’ancien Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2021.

15 Correspond à la règle 50(2) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.

16 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RJCA 9, §§ 93 à 94.

17 Mohamed Abubakari c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RJCA 624, § 76.

18 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), §§ 63 à 65.

19 Mohamed Abubakari c. Tanzanie, (fond), § 78.

20 Correspond à la règle 40(2) du nouveau Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.

21 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples – Communication n°308/05, Michael Majuru c. Zimbabwe (2008) AHRLR 146 (CADHP 2008).

22 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (exceptions préliminaires) (25 juin 2013) 1 RJCA 204, § 121.

23 Christopher Jonas c. Tanzanie (fond), § 54 ; Amiri Ramadhani c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2018) 2 RJCA 356, § 83 ; Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations), § 56 ; Werema Wangoko c. Tanzanie (fond et réparations), § 49 ; Kijiji Isiaga c. Tanzanie (fond) (21 mars 2018) 2 RJCA 226, § 55.

24 Kijiji Isiaga c. Tanzanie (21 mars 2018) 2 RJCA 226, § 65.

25 L’article 1 de la Constitution de l’État défendeur dispose que : « La Tanzanie est un État unitaire et une République-Unie souveraine » (traduction).

26 L’article 107A(2) de la Constitution de l’État défendeur prévoit que : « Lorsqu’ils rendent des décisions en matière civile et pénale conformément aux lois, les tribunaux observent les principes suivants, c’est-à-dire [...] (d) promouvoir et améliorer le règlement des différends entre les parties aux litiges » (traduction).

27 Mohamed Abubakari c. Tanzanie (fond), § 28 ; Kennedy Owino Onyachi et un autre c. Tanzanie (fond), § 39.

28 L’État défendeur est devenu Partie au PIDCP le 11 juin 1976.

29 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 114 ; Kijiji Isiaga c. Tanzanie (fond), § 72 ; Kennedy Owino Onyachi et un autre c. Tanzanie, § 104.

30 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 123 ; Kijiji Isiaga c. Tanzanie (fond), § 78 ; Kennedy Owino Onyachi et un autre c. Tanzanie (fond), §§ 104 et 106.

31 Voir CADHP, Abdel Hadi Ali Radi et Autres c. République du Soudan, Communication 368/09, dans laquelle la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples s’est référée aux articles 25 et 26 de ses Principes et lignes directrices sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique et à l’article 20(c) des Lignes directrices de Robben Island (Lignes directrices et mesures pour l’administration et la prévention de la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants en Afrique) qu’elle a adoptées pour développer le droit de bénéficier d’une assistance judiciaire rapidement après l’arrestation ; Voir également l’affaire CEDH Pavovits c. Chypre, Requête n° 4268/04, arrêt du 11 décembre 2008 (fond, § 64) et l’affaire A.T. c. Luxembourg, Requête n° 30460/13, arrêt du 11 décembre 2008 (fond, § 64),requête n° 4268/04, arrêt du 11 décembre 2008 (fond), § 64 et Affaire A.T. c. Luxembourg, requête n° 30460/13, arrêt du 9 avril 2015 (fond), §§ 64, 65 et 75.

32 Alex Thomas c. Tanzanie (fond) § 124 ; Wilfred Onyango Nganyi et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond), (18 mars 2016), 1 RJCA 526, § 183.

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