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AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS | ||
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES | ||
AFFAIRE
BOUKARY WALISS
C.
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N° 021/2018
ARRÊT
3 SEPTEMBRE 2024
SOMMAIRE
III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS 4
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle 8
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
B. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes 13
i. Sur la procédure de licenciement 16
ii. Sur la procédure dirigée contre les avocats du Requérant 17
iv. Sur la procédure relative à la tentative de meurtre sur la personne du père du Requérant 20
D. Sur les autres conditions de recevabilité relatives à la procédure dirigée contre les avocats 23
La Cour composée de : Modibo SACKO, Vice-président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella I. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI – Juges, et de Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
Boukary WALISS
assurant lui-même sa défense
Contre
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
représentée par
M. Iréné ACOMBLESSI, Agent Judiciaire du Trésor.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
LES PARTIES
Le sieur Boukary WALISS (ci-après dénommé le « Requérant ») de nationalité béninoise, était au moment de l’introduction de la présente Requête, représentant du personnel au sein de la Bank of Africa (ci-après « BOA », agence du Bénin. Il allègue que son droit à un procès équitable a été violé dans le cadre des procédures devant les juridictions internes.
La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée l’ « État défendeur ») devenue partie à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (ci-après, désignée la « Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») le 22 août 2014. L’État Défendeur a, en outre, déposé le 08 février 2016, la déclaration prévue à l’article 34(6) dudit Protocole (ci-après désignée la « Déclaration ») en vertu de laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales ayant le statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Le 25 mars 2020, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine (ci-après dénommée la « Commission de l’UA ») l’instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant l’entrée en vigueur dudit retrait, soit le 26 mars 2021.1
OBJET DE LA REQUÊTE
Faits de la cause
Il ressort de la Requête introductive d’instance que suite à son licenciement, le Requérant a saisi l’Inspection du travail de Cotonou qui, le 8 mai 2007, a dressé un procès-verbal de non-conciliation. À la suite de cette procédure, le Requérant a saisi le Tribunal de première instance de Cotonou (Tribunal de Cotonou) qui l’a débouté par jugement du 29 juillet 2011. Le Requérant ajoute qu’en mai 2013, il a interjeté appel dudit jugement devant la Cour d’appel de Cotonou qui n’a pas vidé sa saisine.
Le Requérant déclare que les avocats AHOMENOU Michel et BALOGOUN Christel qu’il a constitués et qui l’ont représenté dans ces différentes procédures ayant manqué à leur devoir de probité, de loyauté et de diligence. Il a saisi la Cour constitutionnelle à leur égard pour violation de l’article 35 de la Constitution de l’État défendeur (la « Constitution ») et de l’article 7 de la Charte. Il ajoute que par décision DCC 16-02 du 02 novembre 2016, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente.
En outre, le Requérant note que le 29 décembre 2015, il a déposé une plainte au commissariat central de Cotonou contre son chauffeur le sieur Zounaïdou GARBA GADO, pour la rétention abusive de son véhicule. Selon le Requérant, malgré une tentative infructueuse de règlement amiable, l’officier de police judiciaire n’a pas transmis la plainte au procureur de la République de Cotonou. Il soutient, à cet égard, avoir sollicité, en vain, l’intervention du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique (ministre de l’Intérieur).
Insatisfait du traitement de cette autre affaire, le Requérant fait valoir qu’il a saisi la Cour constitutionnelle de deux requêtes dirigées, l’une contre le Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la police et l’autre, contre le ministre de l’Intérieur pour violation du droit à un recours. Par décision DCC 16 – 121 du 04 août 2016,2 la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaître de la première requête et a débouté le Requérant de la seconde par décision DCC 17-092 du 04 mai 2017.
Le Requérant déclare, enfin, que dans le cadre d’une troisième procédure, il a déposé au parquet près le Tribunal de Cotonou contre l’ancien président de la République une plainte pour tentative d’assassinat de son père qui est restée sans suite. Il ajoute que du fait de l’inertie du président de la République en exercice dans ladite affaire, il a formé un recours contre celui-ci devant la Cour constitutionnelle pour parjure et violation des articles 35 et 59 de la Constitution. Le Requérant déclare que par décision DCC 18-090 du 12 avril 2018, la Cour constitutionnelle l’a débouté dudit recours.3
Violations alléguées
Le Requérant allègue, que dans le cadre du traitement de toutes les affaires rappelées plus haut devant les juridictions internes, son droit à un procès équitable protégé à l’article 7(1)(a) de la Charte et son droit à la propriété garanti à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ont été violés.
RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
Le 4 septembre 2018, le Greffe a reçu la Requête introductive d’instance qui a été communiquée à l’État défendeur aux fins de dépôt de sa réponse dans un délai de soixante (60) jours ensuite prorogé de quarante-cinq (45) jours.
Toutes les écritures et pièces de procédure ont été déposées dans les délais impartis par la Cour.
Les débats ont été clôturés le 15 octobre 2019 et les Parties en ont reçu notification.
DEMANDES DES PARTIES
Le Requérant demande à la Cour de :
Constater que dans la première affaire relative au licenciement, le recours déposé le 26 janvier 2016 devant la Cour constitutionnelle ayant révélé son inutilité et son inefficacité pour réparer le préjudice subi, l’État béninois n’a pas respecté son engagement sous l’article 2(3) de garantir que ses citoyens, dont les droits et libertés reconnus au PIDCP, c’est-à-dire le droit à un procès équitable et le droit à la réparation ont été violés, disposent d’un recours utile tendant à réparer le préjudice subi et qu’une autorité compétente puisse en être saisie afin d’y statuer ;
Constater que la durée de la procédure initiée depuis 2001 pour recouvrer des droits, à la suite d’un conflit de travail est excessivement longue et dépasse les délais raisonnables, et qu’il est, de ce fait, difficile d’obtenir un jugement définitif dans cette affaire en 2018 et de même, il est peu probable qu’un jugement définitif intervienne en 2019 ;
Dire et juger que l’État béninois a violé l’article 14(1) du PIDCP ;
Dire et juger qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du PIDCP, l’État défendeur est tenu d’assurer en cas de violation des dispositions du Pacte, un recours utile et exécutoire et donc, que l’État défendeur a l’obligation d’accorder, de ce fait, une réparation intégrale et une indemnisation adéquate correspondant au préjudice subi pour la violation des articles 2(3) et 14(1) du PIDCP ;
Constater que dans la deuxième affaire relative à la plainte pour rétention de son véhicule, il y a eu une foison de recours qui n’ont pas été effectifs et constituent une violation de l’article 8 de la DUDH et qu’en refusant d’instruire son recours contre le Directeur général de la police nationale, la Cour constitutionnelle du Bénin a également violé l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ;
Dire et juger qu’en refusant de transmettre la plainte au procureur de la République dans la deuxième affaire, la police du commissariat central de Cotonou a violé l’article 10 de la DUDH et l’article 7 de la Charte ;
Dire et juger que le véhicule sous crédit-bail étant sa propriété et l’option d’achat n’ayant jamais été levée par le chauffeur, il en a été arbitrairement privé et la responsabilité en incombe à l’État qui a reçu ses plaintes, mais ne lui a pas offert de recours effectif ;
Dire et juger que l’État défendeur a violé, dans son affaire de véhicule commercial, l’article 17 de la DUDH et l’article 14 Charte ;
Constater que dans la troisième affaire relative à la tentative de meurtre sur son père, il a saisi le procureur de la République en juin 2006 suite à l’agression à main armée dont son père a été victime en 2004 et affirme avoir envoyé copie de ladite plainte au président de la République qui était en fonction en juin 2006 au Bénin ;
Dire et juger que le procès n’ayant jamais eu lieu, la justice et la présidence de la République ne lui ayant pas écrit à ce jour pour l’informer de la conduite à tenir et aucune action tangible n’ayant été posée dans cette affaire, que son recours devant le procureur n’a pas été effectif et que sa cause n’a pas été entendue ;
Dire et juger que dans cette troisième affaire, la justice béninoise a violé les articles 8 et 10 de la DUDH et l’article 7 de la Charte ;
Constater que les faits internationalement illicites et qui engagent la responsabilité internationale de l’État béninois sont nombreux ;
Dire et juger que l’État béninois est tenu de réparer intégralement le préjudice causé, chacune des violations donnant droit à réparation ;
Condamner l’État béninois à lui allouer la somme d’un million de francs CFA (1.000.000 FCFA) au titre du préjudice matériel ;
Condamner l’État béninois à lui ‘allouer la somme de cinq milliards de francs CFA (5.000.000.000 FCFA) au titre du préjudice moral ;
Ordonner à l’État du Bénin de payer tous les montants indiqués dans l’arrêt qui sera rendu dans un délai de six (6) mois à compter du jour où l’arrêt aura été rendu, faute de quoi l’État béninois aura également à payer un intérêt moratoire calculé sur la base du taux applicable par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) durant toute la période de retard et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
L’État défendeur demande à la Cour de :
Constater que la cause porte sur un différend de droit privé entre particuliers ;
Constater que la demande ne vise pas à contrôler la violation de droits garantis par la Charte et autres instruments juridiques internationaux ;
Constater que la demande n’est pas postérieure à l’épuisement des recours internes ;
Constater que la demande n’est pas introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ;
Constater que le demandeur allègue que ses différents avocats lui ont fait perdre du temps ;
Constater que l’État défendeur n’a en rien entravé le droit à un procès équitable du demandeur ;
Constater que l’État défendeur n’est pas intervenu dans la gestion du contentieux social entre le demandeur et ses avocats ;
Constater que l’État défendeur n’a causé aucun préjudice au demandeur ;
Constater que la demande ne tend pas, en réalité, au contrôle d’obligations de l’État défendeur en vertu des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme ;
Constater que la demande ne vise aucun manquement de l’État défendeur à ses obligations en vertu des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme ;
Constater que la demande n’est pas postérieure à l’épuisement des recours internes ;
Constater que la demande n’est pas introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ;
Constater que le demandeur a l’opportunité de saisir les juridictions pénales en cas de désaccord avec les autorités de police sur le caractère civil ou non de sa demande ;
Constater que le demandeur n’a engagé aucune action tendant à citer ses contradicteurs devant le juge judiciaire ;
Constater que la Cour constitutionnelle saisie par le demandeur s’est prononcée à deux (02) reprises ;
Constater que les agents de police ont restitué au demandeur les sommes qu’ils détenaient pour le compte de ce dernier ;
Constater que l’État défendeur est tiers au contrat entre le demandeur et son chauffeur ;
Constater que l’État défendeur n’a commis aucune faute pouvant engager sa responsabilité ;
Constater que l’État défendeur n’est pas responsable des choix procéduraux contentieux du demandeur ;
Constater que l’affaire n’a aucun rapport avec le demandeur ;
Constater que le demandeur affirme qu’il n’est pas victime directe ;
Dès lors, déclarer la demande irrecevable pour défaut d’intérêt ;
Constater que le demandeur affirme que le préjudice n’est pas évident ;
Constater que l’État défendeur n’a commis aucune faute.
Se déclarer incompétente et par conséquent rejeter la demande d’indemnisation.
SUR LA COMPÉTENCE
L’article 3 du Protocole dispose :
La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement,4 « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence […] conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle sur laquelle elle va statuer avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
Sur l’exception d’incompétence matérielle
L’État défendeur soulève l’incompétence de la Cour en soutenant que la Requête ne vise pas à faire constater la violation de droits garantis par la Charte et d’autres instruments juridiques internationaux, ni le respect par l’État défendeur de ses obligations au titre desdits instruments.
Le Requérant conclut au rejet de l’exception en soutenant que sa Requête est relative aux violations de droits de l’homme tels que protégés par des instruments ratifiés par l’État, à savoir la Charte, le PIDCP et la DUDH.
***
La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du […] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».
La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, sa compétence matérielle repose sur l’allégation, par le Requérant, de violations de droits de l’homme protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État défendeur.5
La Cour relève, qu’en l’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable, protégé par les articles 7 de la Charte et 2(3) du PIDCP, et du droit à la propriété, protégé par les articles 14 de la Charte, 14(1) du PIDCP et 17 de la DUDH.
En conséquence, la Cour rejette l’exception d’incompétence matérielle et se déclare compétente sur cet aspect.
Sur les autres aspects de la compétence
La Cour observe qu’aucune exception n’a été soulevée quant à sa compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit s’assurer que sa compétence est établie quant à ces aspects. À cet effet, la Cour note qu’elle a :
La compétence personnelle, puisque, comme indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, le 25 mars 2020, l’État défendeur a fait la Déclaration. Sur ce point, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le retrait par l’État défendeur de la Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et n’a aucune incidence, ni sur les affaires pendantes au moment dudit retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que ledit retrait ne prenne effet, douze (12) mois après le dépôt de l’instrument y relatif, soit le 26 mars 2021. La Requête ayant été introduite, le 4 septembre 2018, donc avant le retrait de la Déclaration, n’en est donc pas affectée.
La compétence temporelle, étant donné que toutes les violations alléguées se sont produites après que l’État défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole comme mentionné au paragraphe 2 du présent Arrêt.
La compétence territoriale, dès lors que les violations alléguées par le Requérant sont survenues sur le territoire de l’État défendeur.
En conséquence, la Cour considère qu’elle est compétente pour connaître de la présente Requête.
SUR LA RECEVABILITÉ
Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen de la recevabilité de la requête conformément à l’article 56 de la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».6
La règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-après :
Indiquer l’identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine (ci-après désigné « Acte constitutif ») et la Charte ;
Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
La Cour note que l’État défendeur soulève trois exceptions d’irrecevabilité de la Requête tirées respectivement de l’incompatibilité de la Requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine (« l’Acte constitutif »), du non-épuisement des recours internes et du défaut de dépôt de la Requête dans un délai raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites exceptions avant d’examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’incompatibilité de la Requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine
L’État défendeur fait valoir que pour être recevable, la Requête doit indiquer les dispositions des instruments juridiques internationaux qui auraient été violés par l’État défendeur. Il invoque, à cet égard, une décision dans laquelle la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a déclaré une communication irrecevable au motif que les allégations de violations de droits de l’homme étaient vagues.7
Il affirme que l’allégation de violation du droit à un procès équitable se rapporte à un litige de droit privé entre le Requérant et son employeur ayant fait l’objet d’une procédure qui serait anormalement longue dans laquelle aucun grief n’a été soulevé contre lui.
Il en déduit que la Requête est incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et demande, en conséquence, à la Cour, conformément à sa jurisprudence, de déclarer la Requête irrecevable.
Le Requérant n’a pas répliqué sur ce point.
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La Cour note que les demandes formulées par le Requérant visent à protéger ses droits garantis par la Charte, précisément son droit à un procès équitable. En outre, l’un des objectifs de l’Acte constitutif, tel qu’énoncé à son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucune demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte.
En conséquence, la Cour rejette l’exception et considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif et satisfait, donc, à l’exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes
L’État défendeur fait valoir que le Requérant ne prouve pas qu’il a utilement saisi les juridictions nationales contre les personnes responsables des griefs qu’il soulève. Selon l’État défendeur, le Requérant n’apporte pas non plus la preuve que les recours internes sont inefficaces ou inutiles.
En outre, relativement à l’affirmation du Requérant selon laquelle la Requête dont il a saisi la Cour constitutionnelle concernant ses avocats est restée sans suite, l’État défendeur rappelle que cette haute juridiction est compétente pour connaître des litiges opposant les citoyens à l’État et non pour ceux de droit privé opposant un avocat à ses clients.
L’État défendeur en conclut que les recours internes n’ont pas été épuisés et que la présente Requête doit être déclarée irrecevable.
***
Le Requérant conclut au rejet de l’exception. Il soutient, en effet, que la règle de l’épuisement des recours internes ne peut, en l’espèce, lui être opposée dans la mesure où les recours disponibles se prolongent de façon anormale et sont par conséquent, inefficaces.
Il soutient que la Cour constitutionnelle, garante du respect des droits de la personne humaine, a rendu le 26 janvier 2016, dans l’affaire l’opposant à ses deux avocats, une décision non conforme à l’article 2, paragraphe 3, du PIDCP. Selon lui, ce recours n’est pas de nature à réparer les préjudices subis en cas de violation des droits de l’homme et est, donc, inefficace.
Le Requérant allègue, en outre, que pour tenter de faire cesser la violation de ses droits fondamentaux par la police béninoise, il a exercé plusieurs recours devant les juridictions de droit commun et devant la Cour constitutionnelle.
Il rappelle ainsi d’une part, que suite à son licenciement, ayant saisi l’Inspection du travail, le 6 novembre 2001, c’est seulement le 8 mai 2007, soit six (6) ans plus tard, que ladite Inspection a dressé un procès-verbal de non-conciliation.8
Le Requérant avance en outre que, le 31 juillet 2007, il a saisi le Tribunal de Cotonou dans la même affaire mais a été débouté par jugement du 29 juillet 2011. Selon le Requérant, dans la procédure d’appel qu’il a interjeté dudit jugement, la Cour d’appel de Cotonou n’a pu vider sa saisine pour défaut de conclusions d’appel.
Le Requérant affirme, par ailleurs, qu’il a saisi la Cour constitutionnelle de différentes requêtes aux dates suivantes : les 30 janvier 2016 et 4 août 2016 contre le Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la police ; le 26 janvier 2016 contre Ahoumehou Michel et Balogoun Christel, tous avocats ; le 12 décembre 2016, contre le ministre de l’Intérieur et le 14 février 2017, contre le président de la République.
Le Requérant ajoute que la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaître aussi bien des requêtes dirigées contre Ahoumehou Michel et Balogoun Christel, tous avocats ; que celles dirigées contre le Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la police nationale.9
Il en conclut que les recours internes ont été épuisés.
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La Cour rappelle que conformément aux articles 56(5) de la Charte et 50(2)(e) du Règlement, les requêtes doivent être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale.10
La Cour relève, que l’exigence de l’épuisement des recours internes préalablement à la saisine d’une juridiction internationale des droits de l’homme est une règle internationalement reconnue et acceptée.11
La Cour rappelle en outre, conformément à sa jurisprudence constante, que les recours internes à épuiser doivent être disponibles, efficaces et satisfaisants. Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un recours existe pour satisfaire à la règle de l’épuisement des recours étant entendu qu’un Requérant n’est tenu d’épuiser un recours qu’autant qu’il offre des perspectives de succès.12
Tel qu’il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour, il est exigé du Requérant qu’il ne se limite pas à arguer de l’épuisement, mais qu’il ait effectivement entrepris les diligences prévues par les procédures internes à cet égard.13
La Cour note qu’en l’espèce, les recours internes exercés par le Requérant sont en rapport avec quatre procédures notamment celles relatives : i) à son licenciement ; ii) à la plainte contre les avocats ; iii) aux plaintes contre le Commissaire central de Cotonou, le Directeur général de la police nationale et le ministre de l’Intérieur ; et iv) à la plainte pour tentative de meurtre sur son père. La Cour va examiner la conformité de la Requête à la condition de l’épuisement des recours internes concernant ces procédures.
Sur la procédure de licenciement
Concernant la procédure de licenciement du Requérant, la Cour note que l’État défendeur avance que le Requérant n’a pas épuisé les recours disponibles. La Cour note par ailleurs que le Requérant lui-même ne nie pas avoir eu connaissance de ce qu’ayant fait appel du jugement du Tribunal de Cotonou devant la Cour d’appel de Cotonou, il n’a pas déposé ses conclusions d’appel, ce qui a empêché la Cour d’appel de vider sa saisine.
La Cour note que l’article 817 du code14 de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes, de l’État défendeur dispose :
L’appel est porté devant la Cour d’appel. Il est jugé sur pièces.
De plus, la Cour relève que la pièce est un document écrit produit devant les juridictions par les parties à l’appui de leurs prétentions15 et souligne que les conclusions d’appel en constituent une pièce de procédure tel qu’il ressort de l’article 89616 qui dispose que :
Les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels ces prétentions sont fondées.
La Cour rappelle qu’il ressort du dossier de procédure introduit par le Requérant devant elle que ce dernier n’a pas déposé les conclusions d’appel, nécessaires pour l’instruction et le jugement de son dossier devant la Cour d’appel de l’État défendeur.
En conséquence, la Cour conclu que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes par la faute du Requérant qui n’a pas entrepris les diligences nécessaires à cet effet.
En conclusion, la Cour retient l’exception de l’État défendeur sur ce point et déclare irrecevables les griefs du Requérant en lien avec son licenciement.
Sur la procédure dirigée contre les avocats du Requérant
La Cour note que le recours introduit par le Requérant devant la Cour constitutionnelle de l’État défendeur tendait à reprocher aux deux avocats d’avoir manqué au devoir de probité imposé par la Constitution ainsi qu’aux exigences de leur profession en ne suivant pas ses instructions quant au contenu de leurs conclusions et en refusant de lui restituer les honoraires qui leur avait versé après que leurs relations se furent dégradées. Selon le Requérant, ce comportement des avocats l’avait empêché d’agir efficacement devant les juridictions internes contre le jugement du 29 juillet 2011 rendu par le Tribunal de Cotonou entraînant ainsi une violation de son droit au procès équitable protégé par l’article 7 de la Charte.
La Cour note que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est compétente pour connaître des allégations de violations de droits de l’homme.17 Conformément à sa jurisprudence, la Cour rappelle que le recours devant la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est un recours disponible, efficace et satisfaisant.
La Cour relève également que, conformément à l’article 124 alinéas 1 et 318 de la Constitution de l’État défendeur (ci-après désignée la « Constitution »), les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.
La Cour note qu’en l’espèce, relativement à son litige contre ses avocats, le Requérant a introduit un recours devant la Cour constitutionnel de l’État défendeur pour violation de l’article 7 de la Charte. Cependant par décision DCC 16-164 du 02 novembre 2016, ladite Cour s’est déclarée incompétente au motif que « les demandes du Requérant tendent, en réalité, à faire apprécier par la Cour, les conditions d’application des règles régissant la profession d’avocat, notamment le règlement n°05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA (…) qu’une telle appréciation relève du contrôle de légalité (dont) la Cour constitutionnelle ne saurait connaître ».
La Cour de céans souligne que le motif d’incompétence est donc tiré de ce que la Cour constitutionnelle a été saisie d’un contrôle de légalité d’un texte communautaire pour lequel il n’existe pas de recours disponible au plan national.
La Cour note par conséquent que le Requérant a épuisé les recours internes et rejette l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
Sur la procédure dirigée contre le Commissaire central de Cotonou, le Directeur général de la police et le ministre de l’Intérieur
La Cour note que, tel qu’il ressort du dossier, le Requérant a déposé une plainte contre son chauffeur pour rétention de son véhicule. Ayant estimé que le Commissaire central de Cotonou n’avait pas transmis son dossier au procureur de la République de ladite ville, il a saisi le Directeur général de la police et le ministre de l’Intérieur pour solliciter leur intervention aux fins de transmission du dossier.
N’ayant pas eu la suite escomptée, il a saisi la Cour constitutionnelle contre ces autorités au moyen qu’elles avaient violées, le devoir de conscience, de compétence, de probité, de dévouement et de loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun prescrit à l’article 35 de la Constitution et de son droit au procès équitable garanti à l’article 7 de la Charte.
La Cour de céans note relativement auxdites procédures que dans ses décisions DCC 16-121 du 4 août 2016 et DCC17-092 du 4 mai 2017, la Cour constitutionnelle a constaté le défaut pour le Requérant de s’être conformé à la procédure devant le Commissaire de police, ce qui a empêché ce dernier de transmettre le dossier ; et que ni le Directeur général de la police ni le ministre de l’Intérieur n’avait le pouvoir d’interférer dans ces procédures judiciaires. La Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaître de sa saisine, en ce qui concerne le Commissaire central de Cotonou, pour violation de l’article 35 de la Constitution et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; et a débouté le Requérant concernant le recours introduit contre le ministre de l’Intérieur au motif que la demande du Requérant tendait à faire intervenir le ministre de l’Intérieur dans une procédure judiciaire encore pendante.
La Cour souligne que la procédure pendante était celle relative à la plainte déposée contre le chauffeur du Requérant devant le Commissaire central de Cotonou. À cet égard, la Cour relève qu’en l’absence de transmission du dossier par le commissaire de police au procureur de la République, le Requérant avait la possibilité d’exercer trois recours. D’abord, il pouvait, en vertu de l’article 38 du code de procédure pénale de l’État défendeur (CPP),19 saisir directement le procureur de la République d’une plainte ayant le même objet. Ensuite, il pouvait déposer une plainte avec constitution de partie civile, conformément à l’article 90 du CPP.20 Enfin, le Requérant pouvait, sur le fondement de l’article 400 du CPP,21 saisir le tribunal de première instance par voie de citation directe.
La Cour a jugé que ces recours sont disponibles, efficaces et satisfaisants.22 Or, le Requérant n’a pas démontré qu’il a exercé l’un quelconque de ces recours. Dès lors, la Cour estime que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes relativement à la procédure dirigée contre le Commissaire de la police centrale de Cotonou, le Directeur général de la police et le ministre de l’Intérieur.
Sur la procédure relative à la tentative de meurtre sur la personne du père du Requérant
La Cour note que dans le cadre de cette procédure, le Requérant, face à l’inaction de procureur de la République qu’il avait saisi, a transmis une lettre au président de la République en exercice pour requérir son intervention, sans succès, avant de saisir la Cour constitutionnelle. Le recours introduit par le Requérant devant la Cour constitutionnelle contre le président de la République tendait à faire dire à la haute juridiction que le fait pour le président de la République de n’être pas intervenu pour faire agir le procureur constitue une violation des articles 3523 et 5924 de la Constitution et par ricochet de son droit à un procès équitable garanti à l’article 7 de la Charte.
Dans la décision DCC18-090 du 12 avril 2018 qu’elle a rendu à cet égard, la Cour constitutionnelle a débouté le Requérant au motif que la demande de ce dernier tendait à faire intervenir le président de la République dans une procédure judiciaire en cours. Selon la haute juridiction, une telle intervention aurait violé la séparation des pouvoirs garanti à l’article 125 de la Constitution.25 En tout état de cause, la Cour de céans note que dans l’ordonnancement judiciaire de l’État défendeur, lorsque le procureur saisit n’agit pas, les justiciables ont la possibilité de saisir le juge d’instruction par voie d’action. Il en découle qu’en l’espèce, pour vaincre l’inaction du procureur, le Requérant aurait pu user de cette voie de recours, ce qu’il n’a pas fait.
En conséquence, la Cour conclut que les recours n’ont pas non plus été épuisés concernant cette dernière procédure et retient donc l’exception soulevée par l’État défendeur à cet égard.
Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère que la présente Requête ne satisfait pas à la condition de l’épuisement des recours internes énoncée à l’article 56(5) de la Charte sur l’ensemble des chefs d’allégation à l’exception de celui tiré du grief du Requérant contre ses avocats.26
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non-raisonnable relativement à la procédure dirigée contre ses avocats
L’État défendeur fait valoir que le Requérant est responsable de la durée de cette procédure, car il allègue dans son dossier de procédure que ce manquement résulte du défaut de diligences de ses avocats.
Il relève que la gestion hasardeuse, les mauvaises stratégies procédurales et l’inconstance du demandeur se sont révélées contre-productrices. De ce fait, le Requérant ne peut qu’assumer sa propre responsabilité.
Le Requérant soutient que suivant sa démarche procédurale, il n’y a pas, d’une part lieu d’apprécier si la requête a été déposé dans un délai raisonnable du fait de l’absence de l’épuisement de voies de recours internes ; d’autre part, il souligne que la dernière décision a été rendue le 02 novembre 2016 et la Requête a été déposée le 04 septembre 2018 devant la Cour de céans.
Il en conclut que ce délai ne paraît pas tardif et la Requête devrait donc être déclarée recevable par la Cour.
***
La Cour de céans note qu’entre la décision de la Cour constitutionnelle de l’État défendeur relative à la procédure contre les avocats et l’introduction de la présente Requête, il s’est écoulé un délai d’un (1) an et dix (10) mois. Il revient à déterminer si un tel délai est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte.
La Cour a constamment considéré que « [l]e caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».27 À cet égard, la Cour a pris en compte, entre autres facteurs, le temps qui était nécessaire au Requérant pour réfléchir à l’opportunité de préparer et d’introduire sa Requête.28 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que dans les circonstances où le délai en cause est relativement court, il y a lieu de considérer qu’il est manifestement raisonnable.29
Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que le délai d’un (1) an et dix (10) mois observé par le Requérant pour la saisir est manifestement raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte.
En conséquence, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
La Cour rappelle, par ailleurs que les conditions de recevabilité d’une requête sont cumulatives de telle sorte que dès que l’une d’entre elles n’est pas remplie, c’est l’entière Requête qui s’en trouve irrecevable.30
La Cour considère qu’ayant estimé que les recours internes n’ont pas été épuisés dans le cadre des procédures de licenciement, des procédures contre le Commissaire central de la ville de Cotonou, le Directeur général de la police nationale, le ministre de l’Intérieur ainsi que celle relative à la tentative de meurtre sur son père, il n’y a pas lieu qu’elle se prononce sur les autres conditions de recevabilité concernant lesdits recours, à l’exception de celle dirigée contre les avocats.
Sur les autres conditions de recevabilité relatives à la procédure dirigée contre les avocats
La Cour constate que la conformité de la Requête aux conditions prévues aux alinéas (1), (2), (3), (4) et (7) de l’article 56 de la Charte telles que reprises par la règle 50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement, n’est pas contestée par les Parties. Toutefois, la Cour doit s’assurer que la Requête satisfait également à ces conditions.
La Cour relève qu’il ressort du dossier que la condition prévue à la règle 50(2)(a) du Règlement est remplie, le Requérant ayant clairement indiqué son identité.
La Cour relève, en outre, que la Requête ne contient aucun terme outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, ce qui la rend ainsi conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement, la Cour souligne que la Requête ne repose pas exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse mais sur des documents judiciaires. La Cour considère ainsi que la Requête est conforme au texte susvisé.
Enfin, s’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement, la Cour constate que la Requête ne concerne pas une affaire déjà réglée conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif, soit des dispositions de la Charte.
Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la Requête, en ce qui concerne les griefs contre les avocats du Requérant devant la Cour constitutionnelle, remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte telles que repris par la règle 50(2) du Règlement et la déclare recevable, en conséquence.
SUR LE FOND
La Cour examinera l’unique violation alléguée par le Requérant, pour laquelle les recours internes ont été épuisés, notamment celle relative à la procédure dirigée contre ses avocats, à savoir son droit à un procès équitable.
Le Requérant soutient que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur aurait examiné ses recours sans réunir l’ensemble des éléments soulevés et en déduit que ladite Cour n’a pas suffisamment mis en œuvre les moyens invoqués et dénonce les moyens d’actions utilisés par la Cour constitutionnelle de l’État défendeur.
Il souligne que la Cour constitutionnelle a minimisé ses moyens d’enquêtes avant de rendre sa décision motivée en ces termes :
Les demandes du requérant tendent, en réalité, à faire apprécier par la Cour, les conditions d’application des règles régissant la profession d’avocat, notamment le règlement n° 05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA et la loi n°65-6 du 20 avril 1965 instituant le barreau du Bénin ; qu’une telle appréciation relève du contrôle de légalité ; que la Cour, juge de la constitutionnalité et non de la légalité.
En réplique, l’État défendeur soutient que les allégations de refus d’instruction et de réception des recours du Requérant ne sont pas fondées.
Il fait valoir que la Cour constitutionnelle saisie par le Requérant s’est prononcée et soutient dès lors que le droit à un procès équitable n’a pas été violé.
***
La Cour note que l’article 7(1) (a) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur.
La Cour souligne également que l’article 2(3) du PIDCP est ainsi libellé :
Les États parties au présent Pacte s’engagent à :
Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ;
Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu.
La Cour de céans souligne que dans le système judiciaire de l’État défendeur, il est constaté que tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’il estime que ses droits fondamentaux ont été violés.31 La Cour note en outre que tout citoyen de l’État défendeur a la faculté de saisir directement la Cour constitutionnelle garant des droits fondamentaux de la personne humaine.
La Cour note enfin, qu’il ressort des écritures versées au dossier de procédure par le Requérant que la Cour constitutionnelle a été saisie par ce dernier, et les copies des décisions rendues par cette juridiction nationale sont disponibles dans le dossier de procédure.
La Cour conclut que le droit du Requérant à un procès équitable n’a pas été violé.
De ce qui précède, la Cour rejette cette allégation et considère que l’État défendeur n’a pas violé les articles 7(1)(a) de la Charte lu conjointement avec l’article 14 du PIDCP.
SUR LES RÉPARATIONS
Le Requérant demande à la Cour de rétablir son droit à un procès équitable et son droit à la propriété. Il sollicite, en outre, de la Cour d’ordonner à l’État défendeur les réparations suivantes :
En guise de réparations pécuniaires :
Pour le préjudice matériel, la somme d’un million (1.000.000) FCFA.
Pour le préjudice moral, la somme de cinq milliards (5.000.000.000) FCFA.
En guise de réparations non-pécuniaires, d’ordonner à l’État défendeur de payer tous les montants indiqués dans l’arrêt dans un délai de six (6) mois à compter du prononcé de l’arrêt faute de quoi l’État défendeur payera un intérêt moratoire sur la base du taux applicable par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), durant toute la période de retard et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
L’État défendeur souligne qu’il n’a commis aucun préjudice au Requérant.
Il sollicite, en conséquence, le rejet de la demande d’indemnisation du Requérant.
***
L’article 27(1) du Protocole dispose :
« [l]orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
La Cour rappelle qu’elle n’a constaté aucune violation du droit du Requérant à un procès équitable. Dès lors, ses demandes de réparations ne sont pas justifiées, et par conséquent, la Cour les rejette.
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
Aucune des Parties n’a conclu sur ce point.
***
Aux termes de la règle 32(2) du Règlement,32 « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
La Cour note que rien, dans les circonstances de l’espèce, ne justifie qu’elle déroge à cette règle. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;
Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
Accueille l’exception tirée du non-épuisement des recours internes en ce qui concerne la procédure relative au licenciement du Requérant, la plainte dirigée contre le chauffeur du Requérant et celle relative à la tentative de meurtre sur son père ;
Dit que les recours internes n’ont pas été épuisés sur ce point ;
Rejette l’exception tirée de l’incompatibilité de la Requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
Rejette l’exception tirée du non-épuisement des recours internes en ce qui concerne la procédure dirigée contre les avocats du Requérant ;
Dit que les recours internes ont été épuisés sur ce point ;
Rejette l’exception d’irrecevabilité tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non raisonnable en ce qui concerne la procédure dirigée contre les deux avocats ;
Déclare la Requête recevable en ce qui concerne la demande dirigée contre les avocats du Requérant.
Sur le fond
Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un procès équitable du Requérant protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte lu conjointement avec l’article 14 du PIDCP concernant l’allégation relative aux griefs contre les avocats du Requérant.
Sur les réparations
Rejette les demandes de réparation.
Sur les frais de procédure
Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ;
Ben KIOKO, Juge ;
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ;
Suzanne MENGUE, Juge ;
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;
Chafika BENSAOULA, Juge ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ;
Stella l. ANUKAM, Juge ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce troisième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-quatre, en français et en anglais, le texte français faisant foi.
1 XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (3 avril 2020) 4 RJCA 51, § 2.
2 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, DECISION DCC 16 – 121 du 04 août 2016, Requérant : Boukary Waliss, la Cour constitutionnelle, Décide, article 1er : - La Cour est incompétente.
3 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, DECISION DCC 18-090 DU 12 AVRIL 2018, Requérant : Boukary WALISS, la Cour constitutionnelle, Décide, article 1er : - Il n’y a pas violation de la Constitution.
4 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 02 juin 2010.
5 Franck David Omary et autres c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJCA 371, § 74 ; Peter Chacha c. République Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJCA 413, § 118.
6 Article 40 du Règlement du 02 juin 2010.
7 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Communication Frederick Korvan c. Libéria, requête n°1/88, 26 octobre 1988, § 4.
8 Le différend porte sur les réclamations suivantes : indemnité compensatrice de congés payés d’un montant de quatre cent quatre-vingt-huit mille sept cent trente-huit mille francs CFA (488.738), indemnité au titre de licenciement du délégué du personnel d’un montant de dix millions francs CFA (10.000.000), des dommages et intérêts d’un montant de trois cents millions de francs CFA (300.000.000) ainsi que la délivrance d’un bulletin de paie et qu’un certificat de travail.
9 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, décisions DCC 16 – 121 du 04 août 2016 et DCC 16-164 du 02 novembre 2016.
10 Andrew Ambrose Cheusi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RJCA 219, § 52.
11 Yacouba Traoré c. République du Mali (recevabilité) (25 septembre 2020) 4 RJCA 672, §39.
12 Ayants droit de feu Norbert Zongo, Aboulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo et Mouvement Burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, Arrêt (fond) (28 mars 2014), 1 RJCA 226, § 68 ; Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (fond) 1 RJCA 324, §§ 92 et 108 ; Sébastien Germain Marie Akoué Ajavon c. République du Bénin (fond et réparations) (04 décembre 2020) 4 RJCA 149, § 99.
13 Aminata Soumaré c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 038/2019, Arrêt du 5 septembre 2023, § 45.
14 Loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale sociale, administrative et des comptes.
15 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 12e édition mise à jour, Quadrige, PUF, janvier 2018, p. 1617.
16 Loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale sociale, administrative et des comptes.
17 Article 114 de la Constitution du 11 décembre 1990 libellé ainsi qu’il suit : « La Cour constitutionnelle (…) garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. (…) ».
18 L’article 124(1) et (3) de la Constitution stipule : « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont pas susceptibles de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ».
19 L’article 38 du code de procédure pénale de l’État défendeur (CPP) dispose : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. ».
20 L’article 90 du CPP dispose : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut adresser une plainte avec constitution de partie civile au président du tribunal qui en saisit le juge d’instruction. »
21 L’article 400 du CPP dispose : « La partie civile qui cite directement un prévenu devant un tribunal de première instance fait, dans l’acte de citation, à peine de nullité, élection de domicile dans la localité où siège ce tribunal à moins qu’elle n’y soit domiciliée ».
22 Kambole c. Tanzanie, supra, § 37.
23 Ibid.
24 L’article 59 de la Constitution dispose : « Le Président de la République assure l’exécution des lois et garantit celle des décisions de justice ».
25 L’article 125 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ».
26 Goh Taudier et Autres c. République de Côte d’Ivoire, CAfDHP, Jonction d’Instances Requêtes n° 017/2019, 018/2019 et 019/2019, Arrêt du 4 juin 2024, § 39.
27 Zongo et autres c. Burkina Faso (fond), supra, § 92. Voir également Thomas c. Tanzanie (fond), supra, § 73.
28 Igola Iguna c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1er décembre 2022 (fond et réparations), § 35 ; et Zongo et autres c. Burkina Faso (exceptions préliminaires), supra, § 122.
29 Jackson Godwin c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 037/2016, Arrêt du 5 septembre 2023 (fond et réparations), § 48 ; Niyonzima Augustine c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), §§ 56 à 58.
30 Aminata Soumaré c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 038/2019, Arrêt du 5 septembre 2023 (compétence et recevabilité), § 47 ; Yacouba Traoré c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 002/2019, Arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), § 49 ; Mariam Kouma et Ousmane Diabaté c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018) 2 RJCA 246, § 63 ; Rutabingwa Chrysanthe c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018) 2 RJCA 373, § 48.
31 L’article 35 de la loi 2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle de l’État défendeur dispose :
De même, la Cour constitutionnelle est saisie par le Président de la République, soit par tout citoyen, toute association ou organisations de défense des droits de l’Homme, des lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, de la violation de la personne humaine.
32 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
