Ajavon c Republique Du Benin (Requête N° 013/2017) [2019] AfCHPR 12 (29 mars 2019)


    AFRICAN UNION

 

UNION AFRICAINE

 

 

UNIÃO AFRICANA

AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS

COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

 

AFFAIRE

SÉBASTIEN GERMAIN AJAVON       

C.

RÉPUBLIQUE DU BENIN

REQUÊTE N°013/2017

 

ARRÊT

(FOND)

 

29 MARS 2019


Sommaire

Sommaire. i

I.       LES PARTIES.. 2

II.      OBJET DE LA REQUÊTE.. 2

A.      Faits de la cause. 2

B.      Violations alléguées. 4

III.     RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR.. 6

IV.     MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES.. 8

V.      SUR LA COMPÉTENCE.. 11

A.      Exceptions d’incompétence soulevées par l’État défendeur 11

i.        Exception d’incompétence matérielle. 11

ii.       Exception d’incompétence personnelle. 15

B.      Autres aspects de la compétence. 17

VI.     SUR LA RECEVABILITÉ.. 17

A.      Conditions de recevabilité en discussion entre les parties. 20

i.        Exception tirée de l’utilisation de termes outrageants dans la Requête. 20

ii.       Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. 22

B.      Conditions de recevabilité non en discussion entre les parties. 31

VII.        SUR LE FOND.. 32

A.      Violation alléguée du droit au procès équitable. 32

i.        Violation alléguée du droit d’être jugé par une juridiction compétente. 33

ii.       Violation alléguée du droit à la défense. 37

iii.      Violation alléguée du principe « non bis in idem ». 45

iv.      Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence. 47

v.      Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. 51

vi.      Violation alléguée du droit à un double degré de juridiction. 53

B.      Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi, du droit à l’égalité devant la loi et du droit à la non-discrimination. 55

C.      Violation alléguée du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. 58

D.      Violation alléguée du droit au respect de la dignité et à la réputation. 61

i.        Allégation selon laquelle les conditions de l’arrestation du Requérant ont porté atteinte à sa dignité. 63

ii.       Allégation selon laquelle les propos tenus par le Chef de l’État ont entaché la réputation et l’honneur du Requérant 64

iii.      Allégation selon laquelle le jugement de relaxe au bénéfice du doute a entaché la réputation et l’honneur du Requérant 65

E.      Violation alléguée du droit de propriété. 66

i.        Violation alléguée de l’article 14 de la Charte en ce qui concerne la société SOCOTRAC.. 68

ii.       Violation alléguée de l’article 14 de la Charte en ce qui concerne la radio Soleil FM et SIKKA TV.. .. 69

F.      Violation alléguée du devoir de l’État de garantir l’indépendance des tribunaux. 69

VIII.       SUR LES RÉPARATIONS.. 72

IX.     SUR LES FRAIS DE PROCEDURE.. 73

X.      DISPOSITIF. 74


La Cour composée de : Sylvain ORÉ, Président, Ben KIOKO, Vice-Président, Gérard NIYUNGEKO, El Hadji GUISSÉ, Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Juges et Robert ENO, Greffier.

 

En l’affaire :

Sébastien Germain AJAVON

Représenté par :

i.    Me Marc BENSIMHON, avocat au Barreau de Paris ;

ii.   Me Yaya POGNON, avocat au Barreau de Cotonou ;

iii.  Me Issiaka MOUSTAPHA, avocat au Barreau de Cotonou ;

 

contre

 

RÉPUBLIQUE DU BENIN

représentée par :

i.     Me Cyrille DJIKUI, avocat au Barreau de Cotonou, ancien Bâtonnier ;

ii.    Me Elie VLAVONOU KPONOU, avocat au Barreau de Cotonou ;

iii.   Me Charles BADOU, avocat au Barreau de Cotonou.

 

Après en avoir délibéré,

 

rend le présent arrêt :


I.        LES PARTIES

1.  Sébastien Germain AJAVON, (ci-après dénommé « le Requérant »), est un homme d’affaires et un homme politique béninois. Il a fait l’objet de poursuites pour trafic de cocaïne devant le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou qui l’a relaxé, puis a été condamné à vingt ans de prison ferme par la Cour de Répression des infractions économiques et du terrorisme, ci-après « CRIET » nouvellement créée.

2.  La République du Bénin (ci-après désignée « État défendeur ») est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, (ci-après désignée « la Charte »), le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 22 août 2014. L’État défendeur a, en outre, déposé la Déclaration prévue à l’article 34 (6) du Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales, le 8 février 2016.

II.       OBJET DE LA REQUÊTE

A.  Faits de la cause

3.  Il ressort des pièces du dossier qu’entre les 26 et 27 octobre 2016, la gendarmerie du Port Autonome de Cotonou et la Direction des douanes béninoises ont été alertées, par les Services de Renseignements et de la Documentation de la Présidence de la République du Bénin, de la présence d’une quantité importante de cocaïne dans un conteneur de produits surgelés importés par la société Comptoir Mondial de Négoce (COMON SA) dont le Requérant est l’administrateur général. Sur la base de cette information, une procédure judiciaire a été ouverte contre le Requérant et trois de ses collaborateurs, dès le 28 octobre 2016, pour trafic de dix-huit (18) kg de cocaïne pure.

4.  Après huit (8) jours de garde à vue, le Requérant et les trois employés ont comparu devant la Chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou. Par jugement n° 262/IFD-16 du 4 novembre 2016, deux employés ont été relaxés purement et simplement, tandis que le Requérant et un autre employé l’ont été au bénéfice du doute.

5.  Deux semaines plus tard, l’administration des douanes a procédé à la suspension du terminal à conteneur de la Société de Courtage de Transit et de Consignation (SOCOTRAC). Par la suite, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), a procédé, le 28 novembre 2016, à la coupure des signaux de la station de radio diffusion SOLEIL FM ainsi que ceux de la chaine de télévision SIKKA TV. Le Requérant a allégué qu’il est actionnaire majoritaire dans toutes ces sociétés.

6.  Le 2 décembre 2016, le Requérant a demandé et obtenu du greffe de la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou une attestation de non-appel du jugement n° 262/IFD-16 du 4 novembre 2016. Par la suite, au cours du mois de janvier 2017, le Requérant affirme avoir appris, par des rumeurs, que le Procureur général aurait interjeté appel dudit jugement, mais sans aucune notification.

7.  Le 27 février 2017, le Requérant, estimant que l’affaire de trafic international de drogue et la procédure subséquente s’inscrivent dans le cadre d’« un complot ourdi » par l’État défendeur contre lui et qu’elles violent ses droits garantis et protégés par les instruments internationaux des droits de l’homme, a saisi la Cour de céans.

8.  En octobre 2018, à la suite de la création d’une juridiction dénommée « Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (ci-après « CRIET »), le Requérant a été de nouveau jugé par cette instance pour la même affaire de trafic international de drogue et condamné à vingt ans de prison ferme, à cinq millions de francs CFA d’amende avec un mandat d’arrêt international. Le Requérant a estimé que cette nouvelle procédure a également violé ses droits garantis par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ; il a alors demandé à la Cour de constater lesdites violations dans le cadre de la procédure déjà pendante devant elle.

B.  Violations alléguées

9.  Dans sa requête introduite le 27 février 2017, le Requérant allègue que l’État défendeur a violé ses droits garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et particulièrement ses droits suivants :

<< i. droit à une égale protection de la loi garanti par les articles 3 (2) de  la Charte et 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

ii.    droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine garanti par l’article 5 de la Charte, en l’occurrence l’atteinte à son honneur et à sa réputation ;

iii.   droit à la liberté et à la sécurité de sa personne énoncé à l’article 6 de la Charte et à l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

iv.   droit à ce que sa cause soit entendue garanti à l’article 7 de la Charte ;

v.    droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente, garanti aux articles 7 (1) (b) de la Charte et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

vi.   droit de propriété garanti à l’article 14 de la Charte ;

vii.   le devoir de l’État de garantir l’indépendance des tribunaux garanti à l’article 26 de la Charte ».

10.    Dans ses nouvelles allégations soumises le 16 octobre 2018 à la Cour, après le prononcé de l’arrêt de la CRIET, le Requérant soutient que l’État défendeur, par cette procédure, a violé ses droits ci-après :

<<

i. droit de recevoir notification des charges à son encontre ;

ii. droit d’accès au dossier de la procédure ;

iii.      droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes ;

iv.      droit à ce que sa cause soit entendue dans des délais raisonnables ;

v.      droit au respect du principe d’indépendance de la justice ;

vi.      droit à l’assistance de conseils ;

vii.     droit au respect du principe non bis in idem ;

viii.    droit au respect du principe du double degré de juridiction ».

11.    Dans d’autres écritures datées du 27 décembre 2018 et reçues au greffe de la Cour le 14 janvier 2019 et dites « demandes additionnelles », le Requérant allègue que l’État défendeur, par une série de lois non conformes aux conventions internationales viole les droits suivants :

<<

i. Le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial ;

ii. Le droit à un recours effectif et utile ;

iii. Le principe d’équilibre des droits des parties et d’égalité des parties au procès ;

iv. Le principe de l’égalité devant la loi ;

v. Le principe de légalité préalable ;

vi. Le droit à la liberté d’association ;

vii.         Le droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la loi ;

viii.        Le droit à la vie privée et au secret des correspondances ;

ix. Le droit à la liberté d’expression

x. Le droit à une égale protection de la loi tirée de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la Commission nationale de contrôle des renseignements »

III.      RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

12.    La Requête a été reçue au Greffe le 27 février 2017 et a été, le 31 mars 2017, notifiée à l’État défendeur qui a soumis son mémoire sur les exceptions préliminaires le 1er juin 2017. 

13.    Après échanges des écritures entre les parties sur les exceptions préliminaires et sur le fond, le Greffe a, le 27 novembre 2017, informé les parties que la procédure écrite dans la présente affaire était close.

14.    Le 3 avril 2018, le Greffe a, en outre, informé les parties que la Cour tiendra en l’affaire, une audience publique le 30 avril 2018 et les a alors invitées à soumettre leurs mémoires sur le fond au plus tard le 16 avril 2018.

15.    Le 9 mai 2018, la Cour a tenu son audience publique et a commencé sa délibération.

16.    Dans une lettre datée du 15 octobre 2018 et reçue le 16 octobre 2018, le Requérant a soumis de nouvelles allégations par lesquelles il informait la Cour que l’État du Bénin venait de créer une juridiction d’exception dénommée « Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme » (CRIET) pour juger de nouveau l’affaire de trafic international de drogue qui l’a impliqué. Selon lui, cette nouvelle procédure entraine de nouvelles violations de ses droits et il a sollicité que la Cour rende une ordonnance demandant à l’État défendeur de surseoir à son procès devant la CRIET.

17.    Le 26 octobre 2018, le Requérant a informé la Cour que la CRIET avait rendu l’arrêt n° 007/3C.COR le 18 octobre 2018 le condamnant à vingt ans de prison ferme, une amende de cinq millions de francs CFA et un mandat d’arrêt international contre lui et a sollicité une ordonnance de sursis à l’exécution dudit arrêt. Le 12 novembre 2018, le Requérant a réitéré sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêt de la CRIET. Notifié le 20 novembre 2018, l’État défendeur a formulé ses observations sur la recevabilité des nouvelles allégations et sur la demande de sursis le 14 novembre 2018.

18.    Le 5 décembre 2018, la Cour a pris une ordonnance portant rabat du délibéré et réouverture de la procédure écrite. Elle a également déclaré recevables les nouvelles pièces soumises par les parties après la mise en délibéré de l’affaire.

19.    Par une autre ordonnance prise le 7 décembre 2018, la Cour a ordonné à l’État défendeur de surseoir à l’exécution de l’arrêt n° 007/3C.COR rendu par la CRIET, jusqu’à sa décision définitive dans la présente affaire. La Cour a également accordé à l’État défendeur un délai de quinze (15) jours pour lui faire un rapport sur les mesures prises pour mettre en œuvre de l’Ordonnance de sursis à l’exécution de l’arrêt de la CRIET précité.

20.    Le 7 janvier 2019, le Requérant a demandé à la Cour de saisir la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement pour non-respect de l’Ordonnance de la Cour de céans portant sursis à l’exécution de l’arrêt n° 007/3C.COR de la CRIET.

21.   En date du 14 janvier 2019, le Requérant a soumis des demandes additionnelles et sollicité une ordonnance de mesures provisoires lui permettant de rentrer au Bénin aux fins de poursuivre ses activités politiques et économiques et prendre part aux élections législatives de 2019.

22.    En réaction à cette demande, l’État défendeur a, le 16 janvier 2019, soutenu que l’exécution de l’Ordonnance du 7 décembre 2018 était impossible. Il a estimé qu’une telle mesure viole sa souveraineté et qu’ainsi il n’entendait pas l’exécuter. Le même jour, le Greffe a communiqué ledit document au Requérant pour information.

23.    À la 32e Session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine, tenue à Addis-Abeba les 10 et 11 février 2019, la Cour, en application de l’article 31 du Protocole a fait rapport au Conseil Exécutif de l’Union sur la non- mise en œuvre, par l’État du Bénin, de l’Ordonnance portant mesures provisoires rendues le 7 décembre 2018.

24.    Le 21 février 2019, après échanges des pièces et des écritures, le Greffe a informé les Parties que la phase écrite est définitivement close et que l’affaire est mise en délibéré à compter de cette date.

IV.      MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES

25.    Le Requérant prie la Cour de :

<<

i.  Déclarer que la Cour est compétente ;

ii. Déclarer la Requête recevable ;

iii. Constater et déclarer fondées les violations alléguées ;

iv. Constater que lui, Président du Conseil du Patronat du Bénin, connu dans le monde des affaires a vu sa réputation ternie dans le milieu des affaires ;

v. Constater qu’il est une personnalité politique, candidat aux dernières élections présidentielles de mars 2016 ayant recueilli au premier tour 23 % des suffrages et classé 3e juste après l’actuel Chef de l’État du Bénin qui a eu 24 % ;

vi. Constater que cette affaire de trafic de drogue a jeté un discrédit sur sa personne et lui a causé des divers préjudices évalués à la somme de cinq cent cinquante milliards (550 000 000 000) francs CFA dont il demande réparation ».

26.    Dans ses autres écritures portant demandes additionnelles, le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État de suspendre les lois ci-dessous jusqu’à ce que l’État défendeur les rende conformes aux instruments internationaux des droits de l’homme auxquels il est partie :

<<

i.  loi n° 2018-13 du02 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 aout 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée et création de la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme ;

ii.  loi organique n° 2018-02 du 4 Janvier 2018, modifiant et complétant la loi organique n° 94-027 du 18 mars 1999 relative au Conseil Supérieur de la magistrature ;

iii. loi n° 2017-05 du 29 aout 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin ;

iv. loi n° 2018-23 du 26 juillet 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin ;

v. la loi n° 2018-031 portant Code électoral en République du Bénin ;

vi. loi n° 2017-044 du 29 décembre 2017 relative aux renseignements en République du Bénin ;

vii. loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique en République du Bénin ».

27.    Dans sa réponse à la requête ainsi qu’aux allégations soulevées par le Requérant après l’arrêt de la CRIET, l’État défendeur demande à la Cour de :

<<

i.     se déclarer incompétente, pour non-conformité de la Requête à l’article 3 (1) du Protocole ;

ii.    dire et juger que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’a pas vocation à connaître d’une affaire qui requiert l’application d’un instrument juridique qui n’a jamais été ratifié par l’État du Bénin ;

iii.    dire et juger que le Requérant, même s’il est propriétaire des sociétés dont s’agit, n’a pas qualité pour demander réparation de prétendus préjudices subis par des personnes juridiques distinctes de sa personne ;

iv.   dire que la Requête est irrecevable pour utilisation des termes manifestement outrageants envers le Chef de l’État et la justice béninoise et pour non-épuisement des voies de recours internes tel que prévu aux articles 56 (3) et (5) de la Charte et 40 (3) et (5) du Règlement de la Cour ;

v.    constater que les procédures initiées par le Requérant sont encore pendantes devant les juridictions nationales béninoises ;

vi.   rejeter la demande de sursis à l’exécution de l’arrêt rendu par la CRIET ;

vii.   dire et juger que toutes les allégations de violation des droits du Requérant soulevées dans la présente affaire ne sont pas fondées ;

viii.  rejeter toutes les demandes de réparation du Requérant ;

ix.   condamner le Requérant à payer à l’État défendeur la somme d’un milliard cinq cent quatre-vingts et quinze millions huit cent cinquante mille (1 595 850 000) francs CFA à titre de dommages et intérêts ».

V.       SUR LA COMPÉTENCE

28.    L’article 3 (1) du Protocole dispose que : « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».

29.    Conformément à l’article 39 (1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence… ».

A.  Exceptions d’incompétence soulevées par l’État défendeur

30.    L’État défendeur soulève deux exceptions : l’une sur l’incompétence matérielle de la Cour, l’autre sur son incompétence personnelle.

i.   Exception d’incompétence matérielle

31.    L’État défendeur s’appuie sur les dispositions de l’article 3 (1) du Protocole pour contester la compétence matérielle de la Cour aux motifs que les violations alléguées par le Requérant sont de nature commerciale et politique et ne visent en aucun cas un droit fondamental prévu par la Charte, le Protocole ou tout autre instrument juridique pertinent relatif aux droits de l’homme auquel il serait partie.

32.    Il fait valoir que, dans la mesure où la compétence de la Cour « s’ouvre et se referme » sur les violations portées aux droits garantis dans la Charte africaine, le Protocole ou tout autre instrument juridique pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés, les droits politiques tels que le droit de se porter candidat à une élection et de conserver son mandat ne relèvent pas du champ de l’article 3 (1) du Protocole.

33.    L’État défendeur soutient également que la demande de réparation des préjudices résultants des allégations selon lesquelles les comportements des services de l’État défendeur ont porté un discrédit sur la réputation du Requérant, ne rentre pas dans le champ de compétence de la Cour.

34.    L’État défendeur soutient, en outre, que la référence faite par le Requérant à la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen ne lie pas la République du Benin et rend la Cour de céans incompétente dès lors que l’État du Bénin ne l’a jamais ratifiée.

*

35.    Le Requérant réfute l’exception d’incompétence matérielle soulevée par l’État défendeur et soutient que la Cour peut être saisie des cas de violations des droits inscrits dans la Charte et dans d’autres instruments régionaux et internationaux des droits de l’homme, lorsque lesdites violations sont commises par les États parties au Protocole.

36.    Il fait également valoir que les violations qu’il a subies sont des atteintes aux droits de l’homme en rapport avec la manière dont l’enquête judiciaire a été diligentée à savoir : le droit à la liberté, le droit de propriété, la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable. Ces droits sont consacrés par les articles 6, 7, et 14 de la Charte à laquelle le Bénin est partie.

37.    Le Requérant soutient enfin que la Cour est compétente pour connaitre des violations qu’il évoque dans la mesure où ce n’est pas la nature des préjudices qui détermine sa compétence, mais au contraire la nature des droits violés.

38.    S’agissant de la référence faite à la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, le Requérant estime qu’elle n’ôte pas à sa requête sa valeur dans le contentieux des violations des droits de l’homme, quand bien même cet instrument n’est pas ratifié par l’État défendeur. Cette Déclaration est, selon lui, un texte fondateur de la reconnaissance de l’existence des droits de l’homme dans le monde et elle constitue à ce jour, un texte de référence et une source d’inspiration pour tous les instruments protecteurs des droits de l’homme. 

***

39.    La Cour note que l’exception d’incompétence matérielle soulevée par l’État défendeur repose sur deux moyens : d’une part sur la question de savoir si elle a compétence pour statuer sur des violations des droits de l’homme pouvant déboucher sur la réparation de préjudices de nature commerciale ou politique et d’autre part, si sa compétence est établie lorsque les violations alléguées se fondent sur un instrument qui ne lie pas l’État défendeur.

40.    La Cour fait d’abord observer qu’elle est investie d’une mission générale de protection de tous les droits de l’homme protégés par la Charte ou tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État défendeur[1].

41.    La Cour estime, en outre, que les violations des droits de l’homme peuvent, à des degrés divers, entrainer pour la victime une diversité de préjudices qui sont soit d’ordre économique, soit financier, matériel, moral ou autre. Les préjudices sont donc une conséquence de la violation d’un droit et leur nature ne détermine pas la compétence matérielle de la Cour.

42.    Comme elle l’a déjà établi dans l’affaire Peter Joseph Chacha c. République-Unie de Tanzanie que, « tant que les droits dont la violation est alléguée tombent sous l’autorité de la Charte ou de tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État concerné »[2], la Cour exercera sa compétence. En l’espèce, la Cour note que les préjudices « commerciaux et politiques » pour lesquels le Requérant demande réparation se rapportent à des droits garantis par la Charte entre autres : la présomption d’innocence, le droit à la liberté, le droit de propriété, le droit à la dignité et à la réputation et le droit à une égale protection de la loi.

43.    En conséquence, la Cour retient que sa compétence matérielle est établie pour examiner une affaire dans laquelle le Requérant lui demande de constater la violation de ses droits tels que ci-dessus mentionnés (paragraphes 9, 10 et 11) et d’ordonner la réparation des préjudices qui en résulteraient, quelle que soit la nature commerciale ou politique de ceux-ci.

44.    La Cour affirme également qu’en l’espèce sa compétence est établie, dans la mesure où les droits politiques tels que le droit de se porter candidat à une élection et de conserver son mandat sont couverts par l’article 13 (1) de la Charte.

45.    Sur la question de savoir si la Cour est compétente pour examiner des violations qui se fondent sur le non-respect de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Cour relève qu’il ne s’agit pas d’un instrument international mais d’un texte de droit interne français qui n’impose aucune obligation à l’État défendeur. La Cour ne saurait donc étendre sa compétence à cette Déclaration.

46.    Par conséquent, la Cour rejette l’exception d’incompétence matérielle soulevée par l’État défendeur.

ii.  Exception d’incompétence personnelle

47.    L’État défendeur fait grief au Requérant de porter son action devant la Cour pour obtenir réparation des préjudices subis par des sociétés qui ont une personnalité juridique distincte de la sienne. Ainsi, selon lui, la Cour ne saurait déclarer la Requête recevable puisqu’elle est en l’espèce saisie pour des violations faites à une personne morale de droit privé ne remplissant pas les conditions prévues à l’article 5 (3) du Protocole.

48.    L’État défendeur soutient, en outre, que les prétendus préjudices découlant de la suspension de l’agrément de commissionnaire agréé en douanes de la société SOCOTRAC, de la suspension du terminal à conteneur de la même société et de la coupure des signaux de la station de radio « SOLEIL FM » et de la chaîne de télévision « SIKKA TV » n’ont pas été personnellement subis par le Requérant.

49.    L’État défendeur affirme en conséquence que la Requête doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité du Requérant.

*

50.    Dans sa réponse, le Requérant fait valoir qu’il a parfaitement qualité à agir contre l’État du Bénin en sa qualité d’Administrateur général de la société COMON SA, gérant et associé majoritaire de la société SOCOTRAC, Président Directeur général de la société SIKKA INTERNATIONAL, promotrice de SIKKA TV, Directeur général de la radio diffusion SOLEIL FM. Il conclut qu’il a un intérêt direct dans toutes ces sociétés dont il est l’actionnaire majoritaire.

51.    Il affirme en outre que c’est en cette qualité qu’il est fondé à évoquer les préjudices économiques résultant d’un véritable ostracisme et d’une volonté de l’État défendeur de l’asphyxier économiquement.

***

52.    La Cour fait observer que sa compétence personnelle couvre la qualité pour agir qui constitue le titre juridique en vertu duquel une personne agit en justice ou est investie du pouvoir de soumettre son litige à une juridiction[3].

53.    À ce titre, la Cour rappelle qu’elle a déjà établi « qu’en tant que juridiction des droits de l’homme et des peuples, elle ne peut en principe connaitre que des violations des droits des individus, des groupes d’individus ou des peuples sur saisine des entités mentionnées à l’article 5 du Protocole, mais pas des droits des autres personnes morales de droit privé ou de droit public[4] ».

54.    En l’espèce, la Cour constate que le Requérant l’a saisie à titre personnel et non comme représentant de personnes morales et que les droits dont il allègue la violation sont des droits individuels. Elle constate également qu’en dépit du fait que le Requérant soit actionnaire majoritaire et administrateur de sociétés, son action ne vise ni les autres actionnaires, ni les relations d’affaires qui le lient à ces derniers, ni une quelconque irrégularité dans l’existence ou le fonctionnement desdites sociétés. L’action du Requérant tend à faire constater des atteintes à ses droits et ordonner la réparation des conséquences ou des préjudices directs qu’il aurait personnellement subis du fait desdites violations.

55.    De ce qui précède, la Cour conclut que toutes les exigences énoncées aux articles 5.3 et 34 (6) du Protocole relatives à la compétence personnelle sont remplies dès lors que le Requérant est une personne physique qui a agi es qualité.

56.    En conséquence, la Cour rejette l’exception d’incompétence personnelle soulevée par l’État défendeur.

B.  Autres aspects de la compétence

57.    La Cour observe que sa compétence temporelle et territoriale n’est pas contestée par l’État défendeur. De plus, rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente au regard de ces deux aspects. Elle constate donc qu’en l’espèce elle est :

i. compétente sur le plan temporel, dans la mesure où les violations alléguées se sont produites après la ratification par l’État défendeur de la Charte et du Protocole ;

ii. compétente sur le plan territorial, dans la mesure où les faits de l’affaire se sont déroulés sur le territoire d’un État partie au Protocole, en l’occurrence l’État défendeur.

58.    Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaitre de la présente Requête.

VI.      SUR LA RECEVABILITÉ

Sur la recevabilité des demandes additionnelles

59.      Le 14 janvier 2019, le Requérant allègue que les lois béninoises en vigueur dans l’État défendeur et indiquées au paragraphe 26 du présent arrêt ne sont pas conformes aux conventions internationales et violent les droits des citoyens béninois.

60.      Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de suspendre toutes ces lois jusqu’à ce qu’elles soient modifiées pour les rendre conformes aux instruments internationaux auxquels le Bénin est partie. Il demande également à la Cour d’enjoindre à l’État défendeur de lui soumettre un rapport sur l’exécution de la décision qu’elle prendra sur la non-conformité de ces lois dans un délai qui tient lieu de moratoire.

61.      L’État défendeur invoque l’article 34 (4) du Règlement de la Cour et déclare que ce texte consacre l’immutabilité du litige et veut que les prétentions des Parties qui forment l’objet du litige soient fixées dans la requête introductive d’instance. L’État défendeur reconnait, cependant, que quand bien même l’objet du litige peut être modifié au cours de l’instance par des demandes incidentes, cette modification doit avoir un lien suffisant, un rattachement avec les prétentions initiales.

62.      L’État défendeur soutient, en outre, que le Requérant n’excipe aucune violation de ses droits que lui auraient causée les lois dont il demande l’annulation ou la suspension et que, de surcroit, lesdites lois ont été adoptées et incorporées dans le corpus juridique béninois bien après la saisine de la Cour par le Requérant. L’État défendeur prie la Cour de déclarer mal fondées les demandes additionnelles formulées par le Requérant et de les rejeter.

63.      La Cour relève que parmi les lois qui lui sont soumises pour examen de conformité celle portant création de la CRIET a une connexité avec la Requête initiale tandis qu’il n’en est pas ainsi d’autres.

64.      En conséquence, la Cour déclare irrecevables les demandes additionnelles qui ne présentent aucune connexité avec la présente Requête à l’exception de la loi portant création de la CRIET.  

Sur la recevabilité de la Requête

65.    Aux termes de l’article 6 (2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».

66.    Conformément à l’article 39 (1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire […] des conditions de recevabilité de la requête tel que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du présent Règlement ».

67.    Selon l’article 40 du Règlement, qui reprend en substance, les termes de l’article 56 de la Charte, pour être recevables, les requêtes doivent remplir les conditions suivantes : « 

1.   Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;

2.   Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;

3.   Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;

4.   Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;

5.   Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;

6.   Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;

7.   Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre ».

A.  Conditions de recevabilité en discussion entre les parties

68.    L’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête tenant l’une à l’usage de termes outrageants et l’autre au non-épuisement des voies de recours internes.

i.   Exception tirée de l’utilisation de termes outrageants dans la Requête

69.    L’État défendeur conteste la recevabilité de la Requête au motif que les termes utilisés par le Requérant sont manifestement outrageants, attentatoires à la dignité de la fonction du Chef de l’État béninois et dénigrants à l’égard de la justice du Bénin. Selon lui, l’utilisation par le Requérant des termes « machination », « ingérence manifeste et attentatoire au principe de séparation des pouvoirs », « immixtions dans les décisions de justice nationales », et « simulacre de procès » est inconcevable et outrageante envers le Chef de l’État et la justice béninoise. L’État défendeur ajoute que lesdits propos vis-à-vis de la justice béninoise sont insoutenables puisque, au plan procédural, le Requérant a eu droit à un procès juste, équitable et respectueux de ses droits. Pour cela, il soutient que la Requête doit être déclarée irrecevable.

70.    De son côté, le Requérant affirme que les termes de la Requête sont le reflet des graves attaques qu’il a subies ; que les propos qualifiés d’outrageants sont d’un caractère extrêmement mesuré et ne portent en rien atteinte à la dignité, à la réputation ou à l’intégrité du Chef de l’État.

***

71.    La Cour fait observer qu’en général, les termes outrageants ou insultants sont ceux qui sont dits dans le but d’attenter à la dignité, à la réputation ou à l’intégrité d’une personne[5].

72.    Pour déterminer si les propos allégués sont injurieux ou outrageants, la Cour doit « s’assurer que lesdits propos visent à porter intentionnellement ou illégalement atteinte à la réputation ou à l’intégrité d’un fonctionnaire ou d’un organe judiciaire et s’ils sont utilisés de manière à corrompre l’esprit du public ou de toute personne raisonnable, pour calomnier ou saper la confiance du public. Les termes doivent viser à saper l’intégrité et le statut de l’institution et à la discréditer »[6].

73.    La Cour estime aussi que les personnalités publiques y compris celles qui exercent les fonctions les plus hautes au niveau du pouvoir politique sont légitimement exposées à la critique de sorte que les termes, pour être qualifiés d’outrageants à leur égard, doivent être d’une gravité extrême et notoirement attentatoires à leur réputation[7].

74.    Dans la présente affaire, l’État défendeur ne montre pas en quoi l’utilisation par le Requérant des termes « machination » et « ingérence manifeste » porte atteinte à la réputation du Chef de l’État. Il ne prouve pas non plus que les termes « immixtions dans les décisions de justice nationales » utilisés par le Requérant, visaient à corrompre l’esprit du public ou toute autre personne raisonnable ou à saper l’intégrité et le statut du Président de la République du Bénin ou encore qu’ils ont été utilisés de mauvaise foi[8].

75.    La Cour relève qu’en l’espèce, les propos querellés, pris dans leur contexte factuel, visent une simple présentation des faits de la Requête et ne traduisent pas une hostilité personnelle de la part du Requérant, ni à l’égard de la personne du Chef de l’État béninois, ni de celle de la justice béninoise.

76.    Par conséquent, les propos du Requérant dans la présente Requête ne sauraient être qualifiés d’outrageants ou d’attentatoires à l’égard de la fonction du Chef de l’État béninois et de la justice béninoise.

77.    Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité tirée de l’utilisation des termes outrageants dans la Requête.

ii.  Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

78.    L’État défendeur soutient que la présente requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 56 (5) de la Charte et 40 (5) du Règlement. Il évoque successivement trois types de recours qui seraient ouverts au Requérant, mais que celui-ci n’a pas épuisés : le recours devant la Cour constitutionnelle pour violation des droits de l’homme, le recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois et le recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions administratives.  

79.    Il soutient que le Requérant aurait dû saisir la Cour constitutionnelle, spécialement habilitée par la Constitution béninoise pour connaitre de toutes allégations de violation des droits humains. Il affirme que pour avoir ignoré cette procédure effective et disponible en droit béninois, le Requérant n’a pas épuisé les voies de recours au plan interne conformément aux dispositions de la Charte.

80.    L’État défendeur fait, en outre, valoir que, s’agissant de la réparation des préjudices résultants d’une procédure judiciaire abusive, le Requérant pouvait exercer le recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois[9].

81.    L’État défendeur soutient que les violations alléguées par le Requérant devant la Cour de céans, à savoir celles du droit à la présomption d’innocence, du droit au procès équitable, du droit à la liberté, peuvent être réparées dans l’ordre juridique interne en application de l’article 206 sus - cité dès lors que le Requérant prétend que lesdites violations sont consécutives à la procédure judiciaire ayant abouti au jugement du 4 novembre 2016. Pour l’État défendeur, dans la mesure où le Requérant n’a pas usé du recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois avant de saisir la Cour de céans, sa requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.

82.    L’État défendeur soutient par ailleurs que la décision rendue le 4 novembre 2016 est frappée d’un appel interjeté par le Procureur général, en application de l’article 518 du Code de procédure pénale béninois.

83.    Il fait valoir que l’affaire de trafic présumé de drogue n’a pas encore fait l’objet d’un jugement définitif ou irrévocable puisqu’elle a été invoquée devant la CRIET et a fait l’objet d’une décision le 18 octobre 2018. Il estime que les avocats du Requérant ayant formé un pourvoi en cassation contre la décision de la CRIET, les recours internes ne sont pas encore épuisés.

84.    L’État défendeur indique aussi que les recours contre les décisions de retrait de l’agrément de commissionnaire en douane de la société SOCOTRAC, la suspension du terminal à conteneur ainsi que la coupure des signaux des stations de radio et de télévision auraient dû être épuisés devant les juridictions béninoises.

85.    Il cite expressément l’article 818 de la loi n° 2008/07 du 28 février 2011 portant Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes en République du Bénin qui dispose que : « La juridiction statuant en matière administrative est compétente pour connaître du contentieux de tous les actes émanant de toutes les autorités administratives de son ressort. Relèvent de ce contentieux : 1° les recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des autorités administratives ; 2° […] ».

86.    Il soutient qu’aux termes de cet article 818, les décisions de la Direction générale des douanes et des droits indirects portant retrait de l’agrément de commissionnaire agréé en douane de la société SOCOTRAC et la suspension du terminal à conteneur de la même société sont des actes administratifs dont peuvent être saisies les juridictions administratives.

87.    S’agissant de la suspension des signaux de la radio et de la télévision par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), l’État défendeur invoque l’article 65 de la loi organique N° 92 – 021 du 21 août 1992 qui dispose que « les décisions de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication autres que disciplinaires sont susceptibles de recours devant la Chambre administrative de la Cour suprême ».

88.    Il fait valoir que pour ces deux griefs, le Requérant a saisi la Chambre administrative du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou d’un recours en annulation et que cette action est toujours pendante devant ladite chambre.

89.    Pour l’État défendeur, les arguments avancés par le Requérant sont tous inopérants dans la mesure où il n’y a ni prolongation anormale de délai ni ineffectivité des recours internes et prie la Cour de déclarer la Requête et toutes les demandes subséquentes irrecevables.

*

90.    Le Requérant conteste l’exception d’irrecevabilité de sa requête tirée du non-épuisement des voies de recours internes et soutient que, quand bien même il existerait dans le pays un certain nombre de recours, ceux-ci ne sont pas tous applicables à toutes les situations et que si un recours n’est pas adéquat dans une affaire donnée, il est évident qu’il ne doit pas être épuisé.

91.    Le Requérant soutient qu’il existe des exceptions à la règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes. Il ajoute que la Cour de céans a déjà considéré que lorsque les recours internes sont inapplicables, inefficaces, indisponibles ou lorsqu’ils n’offrent pas des perspectives de réussite et qu’ils ne peuvent être utilisés sans obstacle par le Requérant, celui-ci n’est plus tenu de les épuiser. Il cite le cas de la Cour constitutionnelle et fait valoir que l’immixtion du pouvoir politique dans les affaires des autorités judiciaires et le fait que les décisions de la Cour constitutionnelle n’aient jamais été exécutées sont autant d’éléments qui rendent inefficace le recours devant cette Cour.

92.    Le Requérant réfute, en outre, l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle la procédure d’indemnisation prévue à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois lui était ouverte. Il soutient que, dans la mesure où le Procureur général a interjeté appel dans le seul but de prolonger anormalement la procédure et de l’empêcher d’obtenir réparation, il n’était plus en mesure, dans cet état de confusion, d’exercer le recours en indemnisation prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois.

93.    Il fait aussi valoir qu’en raison de l’absence totale d’indépendance et d’impartialité de l’autorité judiciaire, le recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois et le recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives doivent être considérés comme inadéquats et inefficaces.

94.    S’agissant du recours contre l’arrêt rendu par la CRIET le 18 octobre 2018, le Requérant fait valoir qu’il s’est pourvu en cassation contre ladite décision quand bien même aux termes de la loi portant création de cette Cour spéciale, le pourvoi en cassation ne lui offre pas la possibilité de voir réexaminer le fond de l’affaire. Il conclut qu’il s’agit d’un recours exceptionnel qu’il n’est pas forcement tenu d’épuiser.

95.    Partant de ces observations, le Requérant invite la Cour à prendre en compte l’indisponibilité, l’inefficacité et le caractère insatisfaisant des voies de recours qu’il aurait dû épuiser pour déclarer que sa requête est recevable.

***

96.    La Cour note que dans la présente affaire, l’État défendeur allègue l’existence de plusieurs voies de recours qu’il estime, les unes non exercées par le Requérant et les autres en cours de procédure.

97.    La Cour fait observer qu’elle a toujours souligné que pour que la règle de l’épuisement des voies de recours soit remplie, les recours qui devaient être épuisés doivent être des recours judiciaires ordinaires[10].

98.    La Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes signifie que l’affaire que le Requérant entend porter devant l’instance internationale ait été soulevée, au moins en substance, devant les instances nationales si celles-ci existent, si elles sont adéquates, accessibles et effectives.

99.    La Cour recherche donc si, au plan national, les recours devant la Cour constitutionnelle, celui prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois, le recours devant les juridictions administratives et le pourvoi en cassation existent et sont disponibles.

1.  Sur l’existence et la disponibilité des voies de recours internes

100.  Selon l’article 114 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Il en découle que la Cour constitutionnelle du Bénin est aussi juge des violations des droits de l’homme.

101.  La Cour observe qu’en matière de protection des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle du Benin examine, en premier et dernier ressort toutes les allégations de violation des droits de l’homme tels que garantis par la Constitution béninoise, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte[11]. Elle observe également que la Cour constitutionnelle a la compétence pour se prononcer sur le droit des requérants à la réparation[12].

102.  Partant de ce constat, la Cour relève que le recours devant la Cour constitutionnelle du Bénin est disponible.

103.  S’agissant du recours en réparation des préjudices résultants d’une procédure judiciaire abusive prévue à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois, la Cour observe que celui-ci est ouvert à tout individu ayant fait l’objet d’une garde à vue ou d’une détention abusive et dont la procédure a abouti à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement et qui entend demander réparation des préjudices que lui ont causés ladite procédure. Le recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois est un recours interne qui s’offrait au Requérant.

104.  La Cour note, par ailleurs, qu’aux fins de recours, le Requérant a saisi les juridictions administratives des questions relatives au retrait des agréments en douane et à la fermeture du terminal à conteneurs de la Société SOCOTRAC.

105.  La Cour note enfin que le Requérant  a, en outre, exercé le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la CRIET du 18 octobre 2018.

106.  De ce qui précède, la Cour constate qu’au plan national il existait des voies de recours disponibles que le Requérant aurait pu épuiser. 

107.  La Cour note cependant, que les objections du Requérant aux exceptions de l’État défendeur portent surtout sur l’efficacité de ces voies de recours internes et leur capacité à remédier aux violations alléguées.

108.  En l’espèce, le Requérant se fonde d’une part, sur l’absence d’indépendance ou le dysfonctionnement de la justice et d’autre part, sur la lenteur de la justice pour soutenir les exceptions invoquées.

2.  Sur  l’efficacité des voies de recours internes

109.    La Cour fait observer qu’elle a déjà considéré qu’en matière d’épuisement des voies de recours internes, il ne suffit pas qu’un recours existe pour satisfaire à la règle. Les voies de recours internes que le Requérant est tenu d’épuiser ne doivent pas seulement exister mais elles doivent aussi être efficaces, utiles et offrir des perspectives de réussite ou être capables de remédier à la situation litigieuse[13].

110.    La Cour considère que l’analyse de l’utilité d’un recours ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu[14]. Dans le même sens, la jurisprudence internationale, notamment la Cour européenne a affirmé qu’en interprétant la règle de l’épuisement des voies de recours internes, elle a égard aux circonstances de la cause, de sorte qu’elle tient compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique national de l’État défendeur mais aussi du contexte juridique et politique dans lequel ces recours se situent ainsi que la situation personnelle du requérant[15].

111.    La Cour note que la procédure judiciaire menée en 2016 et celle devant la CRIET en 2018 ont entre elles un lien de continuation et la Cour va examiner la question de l’épuisement des voies de recours internes globalement en raison de ce lien de connexité.

112.    La Cour observe, de manière générale et par rapport à tous les recours que le Requérant aurait pu épuiser en 2016 (recours devant la Cour constitutionnelle, recours sur la base de l’article 206 du Code de procédure pénale, recours devant les juridictions administratives) que les circonstances qui ont entouré l’appel du Procureur général et le jugement devant la CRIET en 2018 confirment les appréhensions du Requérant sur leur efficacité.

113.  S’agissant en particulier du recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois, la Cour note qu’il y a eu un  dysfonctionnement de la justice. La Cour relève à cet égard que les parties ont reconnu que l’appel interjeté par le Procureur général contre le jugement du 4 novembre 2016 n’a pas été notifié au Requérant et l’expédition au registre des appels au Greffe du Tribunal a été dressée le 26 décembre 2016, après que le Requérant ait obtenu une attestation de non-appel et de non-opposition. Il apparait de ce fait que l’appel du Procureur général a finalement placé le Requérant dans une situation de confusion qui ne lui permettait pas d’exercer le recours prévu à l’article 206 du Code de procédure pénale béninois, lequel de ce fait est devenu indisponible. Ainsi, le manquement à l’obligation de notification s’est mué en une entrave à la mise en œuvre de l’obligation pour le Requérant d’exercer les recours internes et de les épuiser.

114.    En ce qui concerne les recours devant les juridictions administratives, la Cour relève que contre les décisons prises par la HAAC et par l’administration des douanes, le Requérant a exercé deux recours en annulation pour excès de pouvoir. La Cour note également que les deux recours exercés respectivement sous la référence n°COTO/2017/RP/01759 et en date du 15 février 2016 n’ont donné lieu à aucune décision de justice, du moins, jusqu’au jugement du Requérant devant la CRIET contribuant ainsi à alimenter la méfiance ou la suspicion sur l’efficacité de la justice.

115.    Les entraves à l’exercice des voies de recours ouvertes au Requérant se sont également illustrées après l’arrêt rendu par la CRIET le 18 octobre 2018. Il ressort des pièces du dossier qu’après celui-ci, le pourvoi en cassation exercé par le Requérant n’a jamais été enclenché, faute pour le Procureur spécial devant la CRIET de transmettre le dossier du Requérant à la Cour suprême.

116.    En partant de ces constatations, la Cour estime que les perspectives de succès de toutes les procédures en réparation des préjudices résultant des violations alléguées sont négligeables. La Cour déduit que, quand bien même il existait des recours internes à épuiser, le contexte particulier qui a entouré la présente affaire a rendu lesdits recours inaccessibles et inefficaces pour le Requérant qui se voit ainsi dispensé de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes[16].

117.    La Cour conclut que la présente Requête ne saurait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.

B.  Conditions de recevabilité non en discussion entre les parties

118.    Les conditions relatives à l’identité du Requérant, à la compatibilité de la Requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, à la nature des preuves, au délai raisonnable depuis l’épuisement des voies de recours internes et au principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des cas qui ont été déjà réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’Acte constitutif de l’Union africaine, soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine, telles que requises par les alinéas 1, 2, 4, 6 et 7 de l’article 40 du Règlement ne sont pas en discussions entre les Parties.

119.    La Cour note également que rien dans le dossier n’indique que l’une quelconque de ces conditions n’a pas été remplie en l’espèce. En conséquence, la Cour estime que les conditions énoncées ci-dessus ont été intégralement remplies.

120.    Compte tenu de ce qui précède, la Cour déclare que la présente Requête est recevable.

VII.     SUR LE FOND

A.  Violation alléguée du droit au procès équitable

121.    Le Requérant allègue que ses droits garantis et protégés à l’article 7 (1) de la Charte ont été violés sous plusieurs branches et énumère successivement le droit d’être jugé par une juridiction compétente, de recevoir notification des charges à son encontre, d’accéder au dossier de la procédure, de ne pas être jugé deux fois pour le même fait, d’être jugé dans un délai raisonnable, d’être assisté par un conseil, d’exercer un recours effectif et utile et le droit à la présomption d’innocence.

122.    La Cour relève que l’article 7 (1) de la Charte invoqué par le Requérant dispose que : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :

a/le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;

b/le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;

c /le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;

d /le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».

123.    L’article 14 (7) du PIDCP quant à lui dispose comme suit : « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».

124.    La Cour fait observer que les dispositions de l’article 7 (1) ci-dessus relèvent toutes de l’exigence globale d’équité de la procédure de sorte qu’elles sont reliées entre elles, se chevauchent fréquemment, même si elles sont distinctes et peuvent s’apprécier différemment.

i.   Violation alléguée du droit d’être jugé par une juridiction compétente

125.    Le Requérant affirme que si la loi attribue à la CRIET la compétence de connaitre de certaines affaires et prescrit qu’il lui soit transmis celles en procédure d’enquête ou d’instruction, celles déjà jugées échappent, cependant, à cette emprise. Il ajoute qu’il n’en serait autrement que si la loi l’érige en juridiction de second degré ou d’appel des décisions rendues dans les affaires relevant de sa compétence avant l’entrée en vigueur de la loi l’ayant instituée. Ce qui pour lui n’est pas le cas.

126.    Le Requérant cite l’article 20[17] de la loi N° 2018-13 du 2 juillet 2018 portant création de la CRIET et soutient qu’au regard de cette disposition, il n’est nullement fait mention que la CRIET peut être saisie des affaires déjà jugées, mais plutôt de celles en cours d’enquête et d’instruction.

127.    Le Requérant soutient qu’en ce qui le concerne, les faits déférés devant la CRIET ont déjà fait l’objet d’un jugement en première instance, lequel jugement est devenu définitif et que dans ces conditions, la CRIET n’est nullement compétente pour rejuger ces faits. Il conclut que l’État défendeur a violé l’article 14 (1) du PIDCP en ce qu’il le fait juger par une cour incompétente.

*

128.    L’État défendeur soutient qu’en l’espèce, la CRIET est entièrement compétente pour connaitre, comme juridiction d’appel, de la voie de recours exercée par le Procureur général près la Cour d’appel de Cotonou contre le jugement n° 262/1FD-16 du 4 novembre 2016.

129.    Il expose que le fait pour le Requérant de contester la compétence de la CRIET en faisant croire que celle-ci est plutôt saisie d’une affaire déjà jugée n’est pas fondé. L’État défendeur soutient qu’en première instance, l’affaire qui a impliqué le Requérant a été jugée en procédure de flagrant délit et qu’en application des articles 447 et suivants du Code de procédure pénale béninois, la CRIET est compétente pour connaitre de toute décision ayant fait l’objet d’appel et qu’en pareille circonstance, l’instruction devrait se faire devant la juridiction d’appel ou à la barre devant la CRIET.

130.    L’État défendeur s’appuie également sur les dispositions de l’article 20 de la loi N° 2018-13 du 2 juillet 2018 et soutient que la CRIET est bien compétente pour connaitre de la procédure jusqu’à la reddition de la décision. 

***

131.    La Cour note que la remise en cause de la compétence de la CRIET par le Requérant repose sur la question de savoir si l’affaire du trafic international de drogue à haut risque dont elle a été saisie en septembre 2018 était une affaire pendante devant la Cour d’appel de Cotonou au sens de l’article 5 in fine de la loi N° 2018-13 du 2 juillet 2018 selon lequel les affaires de jugement pendantes devant les cours sont transférées par celles-ci à la CRIET.

132.    En l’espèce, la Cour note que le Requérant allègue que le jugement n° 262/1FD-16 du 4 novembre 2016 a acquis la force de la chose jugée, faute d’appel ou d’opposition, tandis que l’État défendeur soutient que ledit jugement a fait l’objet d’un appel.

133.    La Cour note que pour se déclarer compétente, la CRIET a considéré que l’affaire de trafic international de drogue qui a impliqué le Requérant et qui a fait l’objet du jugement n° 262/1FD-16 du 4 novembre 2016 est une affaire en instance dans la mesure où ce jugement a fait l’objet d’un appel interjeté par le Procureur général. 

134.    Aux termes l’article 20 de la loi N° 2018-13 du 2 juillet 2018 portant création de la CRIET, celle-ci connait des infractions de trafic de drogue et en dehors des cas de flagrant délit et des arrêts de renvoi, une juridiction qui, au moment de la mise en place de la CRIET, est saisie d’une affaire relevant de sa compétence, cette dernière est tenue de lui transférer ladite affaire.

135.    Il ressort des plaidoiries devant la Cour de céans que suivant déclaration en date du 27 décembre 2016, le Procureur général près la Cour d’appel de Cotonou a relevé appel du jugement n° 262/1FD-16 du 4 novembre 2016 rendu par le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, mais sans faire porter la mention d’appel au Registre des appels et sans procéder à la notification de son appel à l’intimé, en l’espèce, le Requérant.

136.    La Cour relève que dans toute procédure judiciaire et plus encore en matière pénale, la mise en action d’une procédure se matérialise par la notification à la partie adverse. C’est par elle qu’un fait, un acte ou une procédure est porté à la connaissance de la personne concernée. La notification revêt une si grande importance dans la procédure qu’elle « met en demeure » le destinataire qui se sent dès lors concerné par la procédure et qu’elle lui offre la possibilité d’y participer[18]. La Cour estime, à la suite de la jurisprudence internationale, que c’est « la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir commis une infraction pénale » qui constitue l’accusation et qui engage l’action pénale[19].

137.    En l’espèce, la notification de l’appel interjeté contre le jugement du 4 novembre 2016 était essentielle et se voulait être le point de départ de la volonté de l’appelant de voir discuter à nouveau l’affaire. La notification n’est pas seulement un acte d’information, elle produit des effets de droit. L’absence de notification de l’appel au Requérant vide le recours exercé par le Procureur général de toute son efficacité et la Cour a déjà établi que le recours efficace est celui qui produit l’effet escompté[20].

138.    La Cour relève, en outre, que depuis le 26 décembre 2016 jusqu’à la saisine de la CRIET en septembre 2018, l’appel du Procureur général n’a jamais été évoqué devant la Cour d’appel de Cotonou et aucun acte de procédure n’a non plus été accompli. Le Procureur général n’a pas tenté de procéder à l’expédition de l’appel pour son inscription dans le registre des appels au greffe du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou. Il n’a pas, non plus, procédé à l’enrôlement de l’affaire devant la chambre correctionnelle de la Cour d’appel comme l’exigent les règles de procédure. Il ressort, en outre, des pièces du dossier qu’hormis les rumeurs qui ont circulé, c’est suite à la convocation émise par la CRIET le 27 septembre 2018 que le Requérant sera saisi d’une notification émanant d’une autorité judiciaire pour discuter à nouveau de l’affaire qui a fait l’objet du jugement du 4 novembre 2016.

139.    De ce qui précède, la Cour estime que faute d’être accompli suivant les règles de droit, l’appel du Procureur général en date du 26 décembre 2016 n’est pas opposable au Requérant. Par conséquent, la CRIET a été saisie d’une affaire qui ne peut pas être qualifiée d’affaire « en cours devant » la Cour d’appel et être opposable au Requérant. À la date de la saisine de la CRIET, le jugement que l’État défendeur dit avoir fait l’objet d’appel avait déjà acquis l’autorité de la chose jugée.

140.    La Cour estime que, quand bien même la compétence matérielle de la CRIET est de connaitre des cas de trafic de drogue, l’affaire qui a concerné le Requérant échappait à la compétence de la CRIET à la date où celle-ci a été saisie. Il s’en suit qu’en l’espèce, la CRIET n’était pas compétente pour connaitre de l’affaire.

141.    De ce qui précède, la Cour conclut que le droit du Requérant d’être jugé par une juridiction compétente garanti à l’article 7 (1) (a) de la Charte a été violé.

ii.  Violation alléguée du droit à la défense

142.    Le Requérant allègue que son droit à la défense garanti à l’article 7 (1) (c) de la Charte a été violé par l’État défendeur sous plusieurs aspects, en l’occurrence le droit de faire valoir des éléments de preuve, de recevoir notification des charges, d’avoir accès au dossier de la procédure et de se faire représenter par un conseil.

a)  Le droit a une enquête complète faire valoir des éléments de preuve

143.    Le Requérant fait grief à la procédure de comparution immédiate à laquelle il a été soumis. Selon lui, cette procédure est exceptionnelle et a été engagée contre lui dans le seul but de violer ses droits à la défense et de le faire condamner rapidement.

144.    Il allègue que le jugement du 4 novembre 2016 ayant abouti à sa relaxe au bénéfice du doute ne lui offrait pas les moyens de démontrer pleinement son innocence car, dit-il, le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou a refusé de prendre en compte ses moyens de preuves quant au complot dont il est victime.

145.    Le Requérant soutient aussi que l’enquête a été menée de manière à ce que les traces du « complot » qu’il a toujours dénoncé soient effacées. Il expose à cet effet que les empreintes digitales n’ont pas été relevées sur les scellés et sur les sachets contenant la drogue ; qu’elles ont été effacées et que la cocaïne a été immédiatement détruite. Il estime aussi que les agents chargés de l’enquête auraient dû prélever la température des gésiers congelés et celle de la cocaïne de manière à déterminer si les deux types de produits ont été introduits dans le conteneur au même moment.

*

146.    L’État défendeur estime que le Requérant est mal fondé à soutenir que son renvoi en comparution immédiate visait à violer ses droits et qu’il n’a jamais été empêché de fournir une quelconque preuve ; qu’aucun de ses droits n’a été violé, le procès s’étant déroulé dans le strict respect de la loi. Il affirme que la procédure de comparution immédiate a été initiée dans le souci de préserver au mieux les droits du Requérant en évitant une détention provisoire qui pourrait ne pas se justifier.

147.    L’État défendeur se réfère au dispositif du jugement n° 262/1FD-16 en date du 4 novembre 2016 du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou statuant en matière de flagrant délit et affirme que, contrairement aux allégations du Requérant, la drogue saisie a d’abord été scellée et mise sous- main de justice au greffe du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou avant d’être détruite.

148.    Il affirme que la société Mediterranean Shipping Company (MSC) Bénin SA qui a assuré le transport du conteneur contenant la drogue pour le compte de la société COMON SA a bel et bien été entendue dans le cadre de l’enquête par la commission mixte d’enquête judiciaire mise en place spécialement pour les besoins de l’affaire et qu’elle a comparu devant la CRIET comme partie civile.

***

149.    Le droit de se défendre énoncé à l’article 7 (1) (c) de la Charte est une composante essentielle du droit au procès équitable et traduit les possibilités qu’une procédure judiciaire doit offrir aux parties pour exposer leurs prétentions et soumettre leurs moyens de preuves. La Cour fait observer que le domaine de l’article 7 (1) (c) s’applique à toutes les étapes de la procédure d’une affaire depuis les enquêtes préliminaires jusqu’au prononcé du jugement et ne se limite pas uniquement au déroulement des audiences.

150.    La Cour note qu’au soutien de ses allégations le Requérant évoque d’une part la comparution immédiate et d’autre part la procédure d’enquête.

151.    S’agissant de l’argument selon lequel le renvoi en comparution immédiate aurait porté atteinte aux droits de la défense du Requérant, la Cour note la comparution immédiate n’est pas en soi une violation du droit à la défense.

152.    S’agissant de la question des enquêtes, la Cour rappelle que l’exigence du droit de se défendre implique la possibilité pour l’accusé de proposer des preuves contraires à celles invoquées par l’accusation, d’interroger les témoins à charge ou de citer ses témoins.

153.    La Cour estime en outre que si l’enquête avait été menée comme indique au paragraphe 144, le Requérant avait des chances d’être acquitté purement et simplement plutôt qu’au bénéfice du doute.

154.    La Cour estime que l’enquête telle qu’elle a été menée n’a pas permis au Requérant d’organiser sa défense.

155.    Il ressort du dossier qu’au niveau de l’enquête préliminaire, le vœu du Requérant de voir celle-ci remonter toute la chaine de transport du conteneur, depuis le point de départ jusqu’au Port autonome de Cotonou ou de procéder à d’autres investigations de nature scientifique qui seront déterminantes quant à l’origine du produit illicite, n’a pas été pris en compte.

156.    La Cour conclut que n’ayant pas souscrit à une telle exigence l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la défense garanti à l’article 7 (1) (c) de la Charte.

b)  Violation alléguée du droit de recevoir notification des charges et d’accéder au dossier de la procédure

157.    Le Requérant conteste la procédure devant la CRIET et soutient que le principe du droit à un procès équitable comprend le droit d’être informé à temps des faits et charges objet de la poursuite. Il allègue qu’en l’espèce, il a été convoqué devant la CRIET par acte du Procureur spécial près la CRIET qui n’indiquait ni les faits ni les charges objets de la poursuite.

158.    Le Requérant expose aussi que depuis la date du 21 septembre 2018 jusqu’au 4 octobre 2018, jour de l’audience, il a tenté en vain de prendre connaissance du dossier sans jamais y parvenir.

159.    Le Requérant soutient qu’en procédant ainsi, alors qu’il s’agit d’une procédure qui est susceptible de donner lieu à une lourde condamnation, l’État défendeur l’a privé de son droit de préparer sa défense.

*

160.    L’État défendeur allègue qu’en appel, il est superflu de notifier à nouveau les charges, la notification ou le droit à l’information ayant été satisfait dès l’enquête préliminaire ou devant le Tribunal. Il affirme que le Requérant a reçu notification du rôle de la CRIET où il est clairement indiqué qu’il est poursuivi pour « trafic international de drogue à haut risque ». Il allègue que dans la pratique, les éléments d’un dossier pénal ne sont pas portables, mais plutôt quérables et qu’il revient à chaque partie, à ses frais, de solliciter du greffe, soit la transmission des pièces du dossier, soit la possibilité de le consulter sur place.

***

161.    La Cour fait observer qu’en toute procédure et plus encore en matière pénale l’objectif de la notification des charges est de permettre à la personne poursuivie d’être informée de la nature des accusations portées contre elle afin qu’elle puisse préparer convenablement sa défense. Le droit de prendre connaissance du dossier d’une procédure est lui aussi un aspect important du droit au procès équitable et est lié aux droits de la défense et plus particulièrement au principe de l’égalité des armes entre les parties. Les juridictions ont donc l’obligation de ménager un juste équilibre entre les parties dans la perspective de leur permettre de connaitre et de commenter tous les éléments de preuve produits par l’autre partie.

162.    En l’espèce, la Cour note que l’État défendeur ne conteste pas que devant la CRIET, non seulement le Requérant n’a pas reçu communication du dossier, mais aussi que ses avocats se sont vu refuser sa consultation sur place. Dans ces conditions, la Cour considère que le Requérant a été privé de la possibilité d’être parfaitement informé de la procédure, du reproche qui lui est fait et de comprendre l’enjeu de la cause. En effet, le fait de mentionner sur le rôle de la Cour que le Requérant comparait pour « infraction de trafic international de drogue à haut risque » ne suffit pas pour décharger la justice de l’obligation de communiquer les pièces du dossier, que ceux-ci soient portables ou quérables. Ce faisant, la Cour estime que la CRIET a totalement privé le Requérant des facilités nécessaires à la préparation et à la présentation de ses arguments dans les conditions qui lui garantissent l’équité et l’équilibre du procès.

163.    Par conséquent, les droits du Requérant d’être informé des charges qui pèsent sur lui et d’accéder au dossier de la procédure garantis à l’article 14 (3) (a) du PIDCP ont été violés.

c)  Violation alléguée du droit à l’assistance d’un conseil

164.    Le Requérant invoque l’article 14.3 (d) du PIDCP et allègue que devant la CRIET son droit à l’assistance d’un conseil a été violé. Il soutient qu’en matière correctionnelle, le prévenu peut demander à être jugé en son absence en étant représenté par son avocat ou par un avocat commis d’office. Il ajoute que, tant en matière correctionnelle qu’en matière criminelle, même en l’absence de lettre, le tribunal et les Cours d’assises sont tenus d’entendre l’avocat qui se présente pour assurer la défense du prévenu ou de l’accusé, l’absence de lettre n’ayant d’incidence que sur la qualification du jugement ; qu’en l’espèce, avant la date du 18 octobre 2018, il a présenté ses excuses et a fait valoir qu’il n’entendait pas comparaître.

165.    Le Requérant allègue qu’en dépit de ces correspondances et contre toute attente, la CRIET a refusé de recevoir la constitution de ses avocats sous prétexte qu’elle devrait, au préalable, l’inculper.

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166.    L’État défendeur réfute les allégations du Requérant et affirme que le droit de celui-ci à être assisté par des conseils n’a pas été violé. Il soutient que devant le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, le Requérant a pu jouir de tous les droits de la défense car il a été assisté d’au moins vingt-six (26) avocats ; que ceux-ci, à aucun moment de la procédure, n’ont sollicité une remise de cause de la procédure pour mieux organiser leur défense.

167.    Il affirme que devant la CRIET, c’est plutôt le Requérant qui, en décidant de ne pas comparaître, ne remplissait pas les conditions légales pour être assisté en son absence. L’État défendeur allègue que devant la CRIET l’examen de l’affaire ne se limitait pas aux questions relatives aux intérêts civils ou aux exceptions, mais qu’il portait aussi sur le fond de l’affaire.

***

168.    La Cour note qu’en l’espèce, le Requérant se plaint de la violation de son droit d’être représenté par un conseil garanti aux articles 7 (1) (c) de la Charte et 14,3 (d) du PIDCP[21].  

169.    Il ressort de ces textes que pour garantir l’équité du procès, tout accusé ou prévenu peut assurer lui-même sa propre défense ou se faire assister d’un conseil qu’il aurait lui-même désigné ou accepté, si celui-ci est commis d’office, et ceci à n’importe quel stade de la procédure. 

170.    La Cour note également que le droit national, en l’occurrence l’article 428 du Code de procédure pénale béninois, reconnait aux individus le même droit à la représentation puisqu’il dispose que « [q] uelle que soit la peine encourue, le prévenu peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé à son absence. Il peut se faire représenter par un défenseur et il est alors jugé contradictoirement… Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution en personne du prévenu, celui-ci est de nouveau cité, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal… ».

171.    La Cour fait observer que le droit d’être représenté par un avocat dont la finalité est d’assurer le caractère contradictoire revêt un caractère pratique et effectif de sorte que son exercice laisse la latitude au prévenu de comparaitre personnellement ou de se faire représenter. Toute limite à l’exercice de ce droit doit répondre à une exigence de nécessité.

172.    Dans la présente affaire, l’État défendeur ne justifie pas des motifs qui rendaient nécessaire la comparution personnelle du Requérant au point de le priver de son droit de se faire représenter par un conseil qui assurera sa défense dans le cadre d’une procédure ayant abouti à sa condamnation à une peine de vingt ans d’emprisonnement. Or, en l’espèce, la Cour constate que le Requérant avait auparavant adressé à la CRIET une lettre pour faire savoir qu’il n’entendait pas comparaître en personne et avait demandé à être jugé à son absence.

173.    La Cour fait observer que le droit d’être représenté par un avocat revêt un caractère pratique et effectif de sorte que son exercice ne peut être soumis au formalisme. L’effectivité des droits de la défense du Requérant recommandait à la CRIET d’éviter un tel formalisme afin de préserver l’équité de la procédure. La Cour considère qu’en l’espèce, la proportionnalité entre le vœu de la CRIET de voir le Requérant comparaitre en personne et la sauvegarde des droits de la défense n’a pas été observée et estime que le défaut de comparution d’un accusé dûment convoqué ne saurait le priver de son droit d’être représenté par un avocat.

174. La Cour conclut que devant la CRIET, le droit du Requérant d’être représenté par un conseil garanti par l’article 14.3 (d) du PIDCP a été violé.

iii. Violation alléguée du principe « non bis in idem »[22]

175. Le Requérant invoque l’article 14(7) du PIDCP et soutient qu’en violation du principe « non bis in idem » la justice de l’Etat défendeur l’a jugé deux fois pour les mêmes faits.

176.    Le Requérant affirme qu’aucune disposition de la loi n° 2018-13 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin, n’a fait de la CRIET, une juridiction supérieure de réexamen des infractions relevant de sa compétence, pas plus que de celui des infractions jugées avant l’entrée en vigueur de la loi l’ayant instituée. Il estime qu’en l’espèce, les faits déférés devant la CRIET, ont déjà fait l’objet d’un jugement en première instance et que de ce fait, la CRIET ne peut plus rejuger l’affaire. Le Requérant soutient que manifestement, l’État défendeur a violé l’article 14 (7) du PIDCP.

*

177.    L’État défendeur soutient, quant à lui, qu’il n’y a pas eu violation, par lui, du principe non bis in idem pour la simple raison que le jugement rendu en première instance a fait l’objet d’un appel interjeté par le Procureur général et qu’il n’est donc pas définitif. Il fait valoir que ce principe n’est utilisé en droit que pour exprimer le fait qu’un accusé jugé et acquitté ou condamné par une décision non susceptible de recours ne peut plus être poursuivi pour le même fait. Il fait valoir que ce principe ne vaut que dans les cas où la décision a acquis l’autorité de la chose jugée.

***

178.    La Cour fait remarquer que bien que la Charte ne contienne pas de disposition spécifique à la règle « non bis in idem », il s’agit d’un principe général de droit qui a été repris par l’article 14 (7) du Pacte, dans les termes ci-après : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».

179.    Le principe « non bis in idem » signifie littéralement qu’une personne ne peut être poursuivie et jugée deux fois par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle elle a été acquittée ou condamnée. Pour apprécier si devant la CRIET, le Requérant a été jugé pour la même affaire que celle jugée par le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, la Cour tient compte des aspects factuels et juridiques de l’affaire[23].

180.    En ce qui concerne les faits, la Cour note que la procédure devant la CRIET a impliqué les mêmes parties que celles qui ont comparu devant le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou : le Ministère public comme poursuivant, la Douane béninoise comme partie civile, le Requérant et trois de ses employés comme les mis en cause. Par ailleurs, la CRIET a essentiellement jugé les faits et les griefs dont a connu le Tribunal. En définitive les deux juridictions ont connu de la même affaire, à savoir le trafic international de 18 kg de cocaïne.  

181.    Sur le plan du respect on non du principe, la Cour relève que c’est en vertu de l’identité des deux procédures que la CRIET, dans le dispositif de son arrêt, a déclaré qu’elle infirme « en toutes ses dispositions le jugement n° 262/1FD-16 du 4 novembre 2016 ».

182.    La Cour fait aussi observer que le terme idem s’attache non seulement à l’identité des parties et des faits, mais aussi à l’autorité de la chose jugée. Sur ce point, la Cour a déjà relevé que l’appel relevé du jugement du 4 novembre par le Procureur général ne saurait être opposable au Requérant. À la date de saisine de la CRIET, ledit jugement avait déjà acquis autorité de la chose jugée et l’État défendeur ne pouvait plus se prévaloir d’une quelconque affaire en cours.

183.    Il s’ensuit que la procédure devant la CRIET était en violation de l’interdiction d’être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une affaire pour laquelle le Requérant a déjà été jugé et relaxé par un jugement devenu définitif conformément à la loi et à la procédure en vigueur dans l’État défendeur.

184.    La Cour conclut à la violation du principe « non bis in idem » prévu à l’article 14 (7) du PIDCP.

iv. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence

185.    Le Requérant affirme que dès son arrestation, ainsi que durant toute la durée de l’enquête jusqu’au procès devant le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, les services des douanes, de la gendarmerie et du parquet de Cotonou ont violé son droit à la présomption d’innocence, en faisant croire à l’opinion publique béninoise qu’il était un trafiquant de drogue.

186.    Il soutient également que le fait pour le Tribunal de le relaxer au bénéfice du doute au lieu d’une relaxe pure et simple a contribué à maintenir les suspicions sur sa culpabilité et les doutes sur son innocence. Le Requérant estime que l’appel interjeté par le Procureur général le maintient, de façon arbitraire, dans un état de « présomption de culpabilité » qui viole l’article 7 (1) (b) de la Charte.

 *

187.    L’État défendeur réfute les arguments du Requérant et rappelle que la présomption d’innocence est un « … principe qui implique que la personne poursuivie doit être acquittée au bénéfice du doute par la juridiction de jugement si sa culpabilité n’est pas démontrée et que pendant l’instruction même, elle doit être tenue pour non coupable et respectée comme telle ».

188.    Il soutient que lors de la garde à vue, le Requérant qui n’était considéré ni comme prévenu ni comme inculpé, est resté à la disposition de la Compagnie de Gendarmerie maritime du Port autonome de Cotonou pour les nécessités de l’enquête. Qu’il n’a jamais été présenté comme auteur, coauteur ou complice de l’infraction de trafic international de drogue à haut risque et son droit à la présomption d’innocence n’a pas été violé.

***

189.    L’article 7 (1) (b) de la Charte dispose que : « (1) toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».

190.    La présomption d’innocence signifie que toute personne poursuivie pour une infraction est, à priori, supposée ne pas l’avoir commise, et ce, aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas établie par un jugement irrévocable. Il s’ensuit que l’étendue du droit à la présomption d’innocence couvre toute la procédure allant du moment de l’interpellation jusqu’au prononcé de la décision judiciaire définitive et que la violation de la présomption d’innocence d’une personne « peut être constatée même en l’absence d’une condamnation définitive, lorsque la décision judiciaire la concernant reflète le sentiment qu’elle est coupable »[24].

191.    En l’espèce, le Requérant soutient que son droit à la présomption d’innocence a été violé tout au long de la procédure judiciaire, par le fait que sa relaxe soit décidée au bénéfice du doute et par l’appel abusif interjeté par le Procureur général.

192.    S’agissant de l’allégation selon laquelle le droit à la présomption d’innocence du Requérant a été violé tout au long de la procédure d’enquête jusqu’au jugement du 4 novembre 2016, la Cour fait observer que le respect de la présomption d’innocence ne s’impose pas uniquement au juge pénal, mais aussi à toutes autres autorités judiciaires, quasi judiciaires et administratives[25].

193.    Il ressort des pièces du dossier que dès le 28 octobre 2016, le Commandant de la Brigade de gendarmerie du Port de Cotonou a animé une conférence de presse au cours de laquelle il a accusé le Requérant d’importer de la cocaïne qu’il a estimé à neuf milliards. Par ailleurs, en juin 2017, d’autres anciens hauts gradés du Port de Cotonou affirmeront sans équivoque que « il est la cause de ses malheurs, c’est lui-même qui a placé sa drogue pour provoquer une insurrection du peuple en cas d’arrestation et cela a été dénoncé par ses amis dans une vidéo. …Ils sont tous au courant que la famille Ajavon est dans ce business ».

194.    En l’espèce, les déclarations publiques de certaines hautes autorités politiques et administratives sur l’affaire de trafic international de drogue, avant et après le jugement de relaxe au bénéfice du doute du 4 novembre 2016, étaient de nature à susciter dans l’esprit du public des suspicions de culpabilité du Requérant voire une survivance desdites suspicions de culpabilité.

195.    S’agissant de l’allégation du Requérant selon laquelle sa relaxe au bénéfice du doute porte atteinte à son droit à la présomption d’innocence, la Cour relève qu’une décision de relaxe au bénéfice du doute ne viole pas la présomption d’innocence. Il n’en serait ainsi que si les termes de la décision prêtent à croire à une culpabilité de la personne relaxée au bénéfice du doute.

196.    En l’espèce, la Cour ne relève aucune ambiguïté dans les termes du jugement en date du 4 novembre 2016 et conclut que ledit jugement de relaxe au bénéfice du doute ne viole pas le droit à la présomption d’innocence du Requérant.

197.    S’agissant de l’allégation selon laquelle l’appel du Procureur général aurait violé le droit du Requérant à la présomption d’innocence, la Cour estime que l’appel d’un jugement, même d’un jugement de relaxe pure et simple est un droit et ne saurait être considéré comme une atteinte à la présomption d’innocence. Toutefois, l’absence de notification de l’appel du Procureur General au Requérant avant la saisine de la CRIET a été de nature à maintenir ce dernier dans les suspicions de culpabilité.

198.    De ce qui précède, la Cour conclut qu’en l’espèce, le jugement de relaxe au bénéfice du doute n’est pas une violation du droit à la présomption d’innocence du Requérant. Cependant, les déclarations des autorités publiques ont violé le droit du Requérant à la présomption d’innocence prévu à l’article 7(1)(b) de la Charte.

v.  Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable

199.    Le Requérant affirme que l’affaire de trafic de drogue qui l’a impliqué a connu, sur le plan procédural, des péripéties incompréhensibles qui frisent le déni de justice. Il considère comme déraisonnable la période de deux ans qui s’est écoulée entre l’appel interjeté en catimini par le Procureur général et la procédure devant la CRIET.

200.    Le Requérant soutient que la volonté du Procureur général d’enliser le dossier en attendant la création de la CRIET est manifeste car, des faits similaires survenus après son jugement de relaxe, ont été déjà jugés en premier ressort et en appel. Il estime que le dysfonctionnement du service public de la justice, la durée et le blocage de la procédure d’appel n’ont pas respecté l’exigence du délai raisonnable pour rendre un jugement et viole les conventions internationales ratifiées par l’État défendeur.

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201.    L’État défendeur réfute les allégations du Requérant et affirme que s’il est admis que les justiciables ont droit à ce que leur affaire soit jugée dans un délai raisonnable, aucune durée précise n’est fixée ni par la loi ni par les juridictions internationales. L’État défendeur estime qu’il ne peut être valablement soutenu que le droit à un procès dans un délai raisonnable n’a pas été respecté. Il estime aussi que, dans les circonstances de la procédure, rien n’indique que les parties au procès ou les autorités sont à la base du long délai dont se prévaut le Requérant.

202.    Il affirme que depuis l’appel interjeté par le Procureur général, il s’est écoulé un (01) an, neuf (09) mois et vingt-deux (22) jours. Il allègue que dans la pratique béninoise, ce délai est plus que raisonnable surtout qu’en l’espèce, le fonctionnement du service public de la justice a été perturbé au cours des années judiciaires 2016-2017 et 2017-2018, par plusieurs grèves qui ont considérablement ralenti le cours de la procédure.

***

203.    La Cour rappelle que le caractère raisonnable d’une procédure s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et qu’une telle appréciation requiert évaluation globale desdites circonstances[26]. En pareils cas, la Cour apprécie la durée de la procédure en prenant en compte certains critères, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du Requérant, celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les Parties[27].

204.    En l’espèce, la Cour relève que le Requérant se plaint de la durée qui s’est écoulée entre le jugement du 4 novembre 2016 et la procédure devant la CRIET et qui correspond à l’instance devant la Cour d’appel sur appel du Procureur général. Sur ce point, la Cour a déjà relevé que devant la Cour d’appel, aucun acte de procédure n’a été accompli depuis l’appel du Procureur général et qu’en l’absence même de notification de l’appel au Requérant, ledit appel n’est pas opposable à ce dernier.

205.    À cet égard, la Cour estime qu’elle ne saurait tirer aucune conséquence d’une procédure entachée d’un vice de procédure substantiel et examiner si celle-ci avait respecté les exigences du délai raisonnable.

206.    La Cour conclut que l’allégation du Requérant est sans objet. 

vi. Violation alléguée du droit à un double degré de juridiction  

207.    Le Requérant fait valoir que le principe du double degré de juridiction, garanti à l’article 14 (5) du PIDCP, est une composante des droits de la défense et constitue bel et bien un principe constitutionnel en droit béninois. Il soutient, cependant, que l’article 19 alinéa 2[28] de la loi n° 2018-13 du 2 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée, et création de la CRIET, le prive du droit de se prévaloir de la règle du double degré de juridiction.

208.    Le Requérant allègue que le seul recours dont il dispose contre la décision de la CRIET est le pourvoi en cassation. Or, précise-t-il, la Cour suprême du Bénin statuant sur un pourvoi en cassation n’a pas vocation à rejuger les faits mais juste à vérifier et à dire si le droit a été respecté.

209.    Le Requérant allègue que l’absence de double degré de juridiction va à l’encontre des conventions internationales que l’État défendeur a ratifiées et qu’au regard de cela il y a lieu de dire que la loi portant création de la CRIET méconnait le principe du double degré de juridiction et viole son droit à un procès équitable.

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210.    L’État défendeur soutient que dans le cas d’espèce, le principe du double degré de juridiction a été observé minutieusement car, non seulement la cause du Requérant a été entendue par le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou mais également en appel par la CRIET. Il soutient que dans le cas de la présente affaire, la CRIET statuant comme juridiction d’appel a instruit l’appel à la barre avant de rentrer en condamnation. L’État défendeur soutient, en outre, que le passage par la voie d’appel n’est pas absolu et le fait pour le justiciable de se voir offrir la possibilité de se pourvoir en cassation équivaut à une possibilité de faire réexaminer sa cause.

***

211.    La Cour fait observer que le droit de faire examiner sa cause par une juridiction supérieure est prévu par l’article 14(5) du PIDCP qui dispose comme suit : « Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ».

212.    La Cour relève que l’exigence du double degré de juridiction est absolue en matière pénale et s’impose, quel que soit le degré de gravité de l’infraction ou la sévérité de la peine encourue par l’individu[29].

213.    Dans la présente affaire, la Cour constate qu’alors que devant la CRIET le Requérant a été jugé pour une infraction pénale et condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans, il lui était impossible de faire examiner en fait et en droit la déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure. La Cour note qu’en l’espèce seul le recours en cassation était ouvert au Requérant. À cet égard, la Cour note qu’il ne ressort nullement des dispositions de l’article 20 de la loi portant création de la CRIET, précité[30], que celle-ci statue comme une juridiction d’appel. De plus, dans l’hypothèse actuelle le recours en cassation qui vise à faire « examiner les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir compte des faits n’est pas suffisant en vertu de l’article 14 (5) du PIDCP »[31].

214.    En l’espèce, le défaut ou l’absence de possibilité de réexamen approprié des déclarations de culpabilité ou de condamnation prononcées par la CRIET est contraire au droit garanti à l’article 14(5) du PIDCP.

215.    De ce qui précède la Cour conclut que les dispositions de l’article 19 alinéa 2 de la loi portant création de la CRIET constituent une violation par l’Etat défendeur du droit du Requérant de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure.

B.  Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi, du droit à l’égalité devant la loi et du droit à la non-discrimination

216.    Le Requérant soutient que les services qui ont alerté la Gendarmerie du Port autonome de Cotonou de la découverte de la cocaïne dans le conteneur lui appartenant étaient ceux des Renseignements généraux agissant en dehors de leur périmètre de compétence. Selon lui, seuls les agents de l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Drogues et des Précurseurs au Bénin (OCERTID) étaient habilités à instrumenter en de pareilles circonstances. Ce qui ne fut pas le cas dans la procédure interne engagée contre lui où le service des Renseignements généraux s’est substitué au service de la police des stupéfiants et des drogues.

217.    Le Requérant déduit qu’en ne plaçant pas l’enquête sous les auspices de l’OCERTID, il a été traité de manière différente des autres justiciables qui se trouveraient dans la même situation, ce qui pour lui viole ses droits à une égale protection de la loi et à la non — discrimination.

218.    Dans ses écritures en date du 27 décembre 2018 et reçues au greffe le 14 janvier 2019, le Requérant, ajoute que la loi portant création de la CRIET, notamment l’article 12 de ladite loi institue un système inégal et discriminatoire entre les justiciables du même pays en accordant à certaines personnes renvoyées devant elle des droits qu’elle ne reconnait pas à d’autres. Le Requérant soutient que cette disposition viole les articles 3 de la Charte et 26 du PIDCP et demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de suspendre l’application de loi jusqu’à sa modification pour la rendre conforme aux instruments internationaux auxquels l’État défendeur est partie. 

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219.    L’État défendeur réfute l’allégation du Requérant et soutient que le fait d’avoir commandité une commission d’enquête ad hoc est conforme à la loi puisque l’enquête pénale qui est généralement menée par les officiers de police judiciaire peut aussi l’être par toute autre entité régulièrement constituée par le Ministère public. Il soutient qu’en l’espèce, la commission mixte mise en place par le Procureur de la République visait à préserver au mieux les droits du Requérant. Il ajoute que les allégations du Requérant tendent, en réalité, à demander un traitement de faveur et qu’il ne s’agit nullement de soutenir une quelconque violation de son droit à une égale protection de la loi. S’agissant de l’allégation selon laquelle l’article 12 de la loi sur la CRIET a un caractère discriminatoire, l’État défendeur demande à la Cour d’ignorer cette demande additionnelle.

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220.    La Cour note que les allégations de violation du droit de bénéficier d’une égale protection de la loi et de ne pas être discriminé soulevées par le Requérant s’apprécient à deux niveaux : d’une part, au niveau de l’enquête préliminaire menée en octobre 2016 et d’autre part, au niveau de l’application de la loi relative à la CRIET.

221.    La Cour rappelle que l’égale protection de la loi et la non-discrimination suppose que la loi dispose pour tous et qu’elle s’applique à tous de la même manière sans discrimination. Elle rappelle aussi que la violation des droits à une égale protection de la loi et à la non-discrimination suppose que des personnes se trouvant dans une situation semblable ou identique aient été traitées différemment[32].

222.    Au niveau de l’enquête préliminaire, la Cour note que dès le 29 octobre 2016, au lendemain de l’interpellation du Requérant, le Procureur de la République, par une note de service, a créé une Commission mixte d’enquête judiciaire dont la mission a été de « reprendre toute la procédure sur les faits liés à la découverte de drogue dans un conteneur au Port de Cotonou et pour laquelle la Compagnie de gendarmerie maritime de Cotonou avait d’initiative ouvert une enquête le 28 octobre 2016 ».

223.    Il ressort également de la note de service mettant en place la Commission mixte d’enquête, que cette dernière est composée de trois (3) membres du Parquet d’instance, trois (3) officiers de la gendarmerie dont un officier de la gendarmerie maritime et de trois (3) membres de l’OCERTID, tous relevant de la catégorie des services qui procèdent aux enquêtes préliminaires tel qu’il ressort des articles 13 à 16 du Code de procédure pénale béninois. En l’espèce, l’intervention des Services des Renseignements généraux s’est limitée à l’alerte donnée le 27 octobre 2016 à la Gendarmerie du Port autonome de Cotonou sur l’existence de la drogue dans un conteneur à bord du navire « MSC Sophie ». Par conséquent, la Cour ne relève, à ce niveau, aucune forme de discrimination ou d’inégalité devant la loi.

224.    S’agissant du caractère discriminatoire de la loi portant création de la CRIET et plus particulièrement de son article 12, la Cour note que ledit texte dispose comme suit : « Les décisions de la Commission d’instruction[33] ne sont pas susceptibles de recours ordinaires. Toutefois, l’arrêt de non-lieu peut être frappé d’appel devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme. Selon le cas, la Cour évoque et juge l’affaire ou rejette le recours ».

225.    Il ressort de ce texte que la loi institue, dans une même procédure, deux systèmes totalement différents selon qu’il s’agit des droits de l’accusation ou de ceux des personnes condamnées. À cet égard, la Cour relève qu’alors que les conclusions du Ministère public qui mettent en accusation les prévenus ne peuvent faire l’objet d’appel, les décisions de non-lieu rendues en faveur de la personne ou des personnes poursuivies sont susceptibles d’appel. Ainsi, la loi rompt visiblement l’équilibre entre les parties au procès et l’égalité de tous devant la loi qui se traduit en l’espèce par l’absence d’égalité des armes.

226.    La Cour conclut que les dispositions de l’article 12 de la loi n° 2018-13 du 2 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée, et création de la CRIET constituent une violation du droit du Requérant à une égale protection de la loi.

C.  Violation alléguée du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne

227.    Le Requérant s’appuie sur les articles 6 de la Charte, 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme pour soutenir que son droit à la liberté a été violé. Il juge inappropriés, injustes et arbitraires son arrestation et son placement en garde à vue dans l’affaire de découverte de 18 kilos de cocaïne dans un conteneur contenant des produits qu’il a commandés. Le Requérant ajoute que s’il est bien le destinataire du conteneur, à aucune étape de la chaine de transport il n’est intervenu et que par conséquent son arrestation et sa détention ne respectent pas les conditions légales et les garanties d’une privation de liberté telles que protégées par le droit international des droits de l’homme et la jurisprudence internationale.

228.    Il fait référence à son statut social et politique et affirme qu’en sa qualité de « magnat de l’agroalimentaire » et d’homme politique classé 3e aux résultats des élections présidentielles de 2016, juste après l’actuel Président de la République qui était classé 2e, la norme aurait été de le mettre sous convocation et non de lui faire endurer huit (08) jours de garde à vue pendant lesquels il n’a été interrogé qu’une seule fois alors qu’il présentait toutes les garanties de représentation.

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229.    L’État défendeur soutient que la garde à vue du Requérant était légale, car elle a été exécutée conformément à la loi qui prévoit que la durée de la garde à vue peut aller jusqu’à huit (08) jours maximum. Il ajoute qu’en l’espèce la justice béninoise a fait toute la diligence nécessaire et n’est pas allée au — delà des huit jours maximum.

230.    L’État défendeur affirme que la garde à vue est une mesure qui réduit la liberté d’aller et de venir d’une personne lorsqu’il y a une procédure en cours, notamment en cas d’enquête policière ; qu’elle s’applique à tous et que le Requérant n’est pas fondé à évoquer sa position sociale ou politique pour s’en soustraire.

231.    L’État défendeur évoque, en outre, les dispositions de l’article 58 du Code de procédure pénale béninois et soutient que l’interpellation et l’arrestation du Requérant ne sont pas arbitraires dans la mesure où elles étaient légales et fondées.

***

232.    L’article 6 de la Charte dispose que : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminées par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement ». Les articles 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont les termes sont identiques à ceux de l’article 6 de la Charte disposent respectivement que :

- « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (article 3)

- « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu, ni exilé » (article 9).

233.    Il ressort de ces textes que la privation de liberté constitue une exception qui est soumise à des exigences strictes de légalité et de légitimité de sorte que l’arrestation ou la détention est qualifiée d’arbitraire lorsqu’elle ne repose sur aucune base légale ou lorsqu’elle intervient en violation de la loi.

234.    Sur ce point, la Cour note que l’article 58 du Code de procédure pénale béninois consacre la liberté comme étant le principe et dispose qu’une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs énumérés comme suit : 1) permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 2) garantir la présentation de la personne devant le Procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ; 3) empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; 4— empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 5) empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; 6) garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser les passions.

235.    Il ressort de cet article 58 que si certaines restrictions visent à assurer la comparution et la participation des personnes à la procédure, d’autres cherchent à éviter d’éventuelles entraves à l’enquête y compris les pressions, les passions populaires, l’effacement ou les modifications des éléments de preuve. En l’espèce, la Cour considère qu’au regard des motifs mentionnés dans ce texte et vu la position d’homme d’affaire et d’homme politique du Requérant, l’autorité judiciaire pouvait raisonnablement craindre des pressions venant de celui-ci ou des concertations entre les différents acteurs de la chaine d’exportation-importation ou encore des passions populaires et décider de la garde à vue au lieu de la liberté. La garde à vue dans ses conditions pouvait se justifier.

236.    S’agissant de la durée de sa garde à vue, le Requérant fait valoir que pendant huit jours il n’a été entendu qu’une fois. La cour note que si la prorogation de délai jusqu’à un maximum de huit jours est prévue par la loi, l’opportunité d’une audition s’apprécie en fonction de l’évolution et des besoins de la procédure d’enquête. La loi, a priori, ne fixe pas le nombre de fois qu’une personne gardée à vue doit être entendue.

237.    La Cour conclut que le droit du Requérant à la liberté et à la sécurité de sa personne garanti à l’article 6 de la Charte, n’a pas été violé.

D.  Violation alléguée du droit au respect de la dignité et à la réputation

238.    Le Requérant allègue qu’il a été arrêté de manière brutale et sans explications quant au motif de son arrestation. Il ajoute que cette arrestation a été opérée sur-le-champ et sans ménagement, de manière musclée et brutale sans aucune convocation préalable.

239.    Il allègue également que le jugement de relaxe au bénéfice du doute constitue une atteinte à son honneur. Que, d’ailleurs, la procédure de comparution immédiate dont il a fait l’objet est une procédure exceptionnelle qui ne visait qu’à le priver arbitrairement de sa liberté et à entacher sa réputation.

240.    Le Requérant soutient en outre que des propos tenus par le Chef de l’État béninois tendent à le présenter, aussi bien auprès du public que dans les médias, comme un coupable alors même qu’il a été relaxé. Selon lui, les déclarations du Chef de l’État ont pour but de salir publiquement sa réputation en niant son innocence.

241.    Il allègue qu’en avril 2017, le Chef de l’État qui répondait aux questions des journalistes est revenu à la charge dans l’émission « débats africains » sur RFI et France24 et a déclaré ce qui suit : « le gars est dans des bêtises. Il se fait prendre dans une affaire de trafic de drogue et il n’a trouvé comme seul moyen de défense que de m’accuser. Je me suis tu dans son intérêt pour ne pas aggraver sa situation parce que comme vous l’avez dit, ce fut un allié ».

242.    Il estime que le jugement du 04 novembre 2016 à son encontre est en fait un jugement de « relaxe-culpabilité » qui entache inexorablement sa réputation en le faisant passer aux yeux du peuple béninois pour un véritable trafiquant international de drogue.

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243.    L’État défendeur affirme que l’interpellation du Requérant a été plus que respectueuse de ses droits. Il expose que le 28 octobre 2016, le Requérant a été interpellé en sa qualité d’Administrateur général de la société COMON SA, destinataire du conteneur dans lequel la cocaïne a été retrouvée. Il ajoute qu’au moment de son arrestation, le Requérant a refusé de monter à bord du pick-up des agents de la Compagnie de gendarmerie maritime qui n’ont pas trouvé d’objection à ce qu’il préfère prendre sa propre voiture.

244.    L’État défendeur réfute les allégations du Requérant selon lesquelles la procédure visait à entacher sa réputation et opine que le jugement de relaxe n’entache nullement la réputation du Requérant. Il estime que ces allégations ne sont pas fondées et sont dépourvues de preuves.

245.    L’État défendeur soutient que le Requérant est mal fondé quand il allègue que le Chef de l’État aurait « fait état de sa culpabilité dans un trafic de drogue, et ce alors qu’il avait été relaxé », car dit-il, le Chef de l’État béninois, soucieux et respectueux du principe fondamental de la séparation des pouvoirs, ne s’est aucunement prononcé, encore moins mêlé de l’affaire.

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246.    La Cour note que le Requérant soulève d’une part que les conditions de son arrestation ainsi que le jugement de relaxe au bénéfice du doute ont porté atteinte à sa dignité et d’autre part, que les propos tenus par le Chef de l’État ont entaché sa réputation et son honneur.

i.   Allégation selon laquelle les conditions de l’arrestation du Requérant ont porté atteinte à sa dignité

247.    La Cour note que faute pour la Charte de préciser le moment, la forme et le contenu de l’information à donner à une personne pour lui expliciter les raisons de son arrestation, la jurisprudence internationale considère que l’information doit être complète, intelligible et qu’elle doit être donnée dans un délai très court. L’arrestation doit donc reposer sur des motifs plausibles, c’est-à-dire sur des faits ou des renseignements propres à persuader un observateur objectif que la personne arrêtée peut avoir commis l’infraction. De ce fait, la Cour procède à une analyse au cas par cas eu égard aux circonstances particulières de chaque affaire.

248.    Dans le cas d’espèce, le Requérant a été arrêté le 28 octobre 2016, au sortir d’une conférence de presse qu’il venait d’animer sur l’affaire de découverte de cocaïne. Dans ces circonstances, la Cour estime que même en l’absence de convocation préalable, le Requérant, au moment de son interpellation, n’ignorait pas les motifs pour lesquels les agents de la gendarmerie du Port de Cotonou, qui ont entamé l’enquête étaient venus l’appréhender. La Cour estime également que le défaut de convocation préalable ne peut pas être considéré comme une violation du droit de l’individu dès lors que les circonstances d’une affaire, la gravité de l’infraction ou la célérité de la procédure peuvent rendre possible une arrestation immédiate. Les motifs de l’arrestation, dans de tels cas, peuvent être donnés verbalement et sur-le-champ au moment de l’arrestation.

249.    La Cour observe, en outre, que le Requérant évoque des brutalités sans donner une description des actes qui constituent de telles brutalités et note qu’ayant refusé de monter à bord du pick-up de la gendarmerie, le Requérant est arrivé au lieu de sa garde à vue à bord de sa propre voiture.

250.    La Cour conclut que les conditions de l’arrestation du Requérant n’ont pas été en violation de l’article 5 de la Charte.

ii.  Allégation selon laquelle les propos tenus par le Chef de l’État ont entaché la réputation et l’honneur du Requérant

251.    L’article 5 de la Charte dispose que « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes les formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites ».

252.    Il ressort des pièces du dossier, notamment des procès-verbaux de transcription de supports audio et audiovisuels qu’à plusieurs occasions, après le jugement du 4 novembre 2016, le Chef de l’État a eu à se prononcer sur l’affaire de trafic de cocaïne sans lever l’équivoque sur le fait que le Requérant avait été relaxé au bénéfice du doute.

253.    A cet égard, le 11 novembre 2016, soit quelques jours après le jugement de relaxe du Requérant, le Chef de l’Etat affirmait ceci : « des évènements qui se sont passés il y a quelques jours, j’ai vu combien j’ai reçu la pression de mes concitoyens, de beaucoup d’autorités politiques et de grandes personnalités pour consacrer ce qui n’est pas admis. Est-ce-que nous sommes prêts à lutter contre l’impunité ? Moi, je n’ai pas l’impression. …. Quand vous faites des bêtises que ça se voit dans la cité, la communauté globalement doit sanctionner ». Sur la chaine de radio RFI le 16 avril 2017 il répondra aux questions d’un journaliste en laissant entendre que « Monsieur Ajavon se trouve être confronté à ce que vous venez d’évoquer, (pris dans une affaire de 18 kg de cocaïne) et il n’a pas trouvé mieux ».

254.    La Cour considère que les interventions du Chef de l’État sur les médias et au cours des « meetings » sur l’affaire de trafic international de drogue, après le jugement de relaxe, étaient  de nature à compromettre la renommée et la dignité du Requérant aux yeux de ses partenaires et aux yeux du public en général.

255.    En conséquence, la Cour conclut que l’honneur, la réputation et la dignité du Requérant ont été entachée en violation de l’article 5 de la Charte.

iii. Allégation selon laquelle le jugement de relaxe au bénéfice du doute a entaché la réputation et l’honneur du Requérant

256.    La Cour fait observer qu’en droit ou en fait, une décision de justice ne peut s’analyser comme motif d’atteinte à l’honneur ou à la réputation d’un individu et le Requérant ne peut valablement se prévaloir du motif que le jugement de relaxe au bénéfice du doute n’a pas suffisamment levé l’équivoque sur la non-culpabilité.

257.    Sur ce point, la Cour conclut que le jugement de relaxe au bénéfice du doute ne porte pas atteinte à l’honneur, à la réputation ou la dignité du Requérant et ne constitue pas une violation de l’article 5 de la Charte.

E.  Violation alléguée du droit de propriété

258.    Le Requérant allègue que l’État défendeur s’est servi de la décision de « relaxe-culpabilité » du 4 novembre 2016 pour détruire les entreprises dont il est propriétaire, en l’occurrence la société SOCOTRAC, sa station de radio ainsi que sa chaîne de télévision. Il soutient que le retrait des agréments en douane de sa société suivi de la coupure des signaux de ses stations de radio et de télévision ont été, manifestement utilisés par les services de l’État aux fins de l’empêcher d’exercer ses activités commerciales.

259.    Il considère que l’interdiction d’émettre, faite à ses stations de radio et de télévision est injuste et en déduit une violation flagrante de son droit de propriété garanti à l’article 14 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

260.    Le Requérant soutient également que les mesures d’interdiction et de suspension prises par les différents services administratifs ont eu pour conséquence la perte de valeur de ses actions dans lesdites entreprises et ont asphyxié ses activités dont il tire principalement son revenu.

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261.    L’État défendeur réfute les allégations du Requérant et estime qu’aucune atteinte n’a été portée au droit de propriété de ce dernier. Il soutient que les sociétés dont le Requérant prétend être propriétaire n’ont fait l’objet ni de nationalisation ni d’expropriation de sa part. De plus, l’agrément n’étant accordé qu’aux sociétés qui remplissent les conditions légales requises, le retrait de l’agrément de commissionnaire en douane de la SOCOTRAC ne peut être analysé en une violation d’un prétendu droit de propriété.

262.    S’agissant de la coupure des signaux de ses médias, l’État défendeur affirme qu’il s’agit d’une mesure conservatoire ayant pour objectif de régulariser la situation de ces deux médias et qu’au moment où la Cour statue, lesdits médias ont recommencé à émettre en attendant l’issue des procédures contentieuses pendantes devant les juridictions béninoises sur cette question.

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263.    L’article 14 de la Charte dispose que « [l] e droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées ».

264.    La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que le droit de propriété dans son acceptation classique comporte le droit d’user de la chose qui en fait l’objet du droit (usus), le droit de jouir de ses fruits (fructus) et le droit d’en disposer (abusus)[34].

265.    En l’espèce, le Requérant allègue que les mesures prises par les autorités administratives contre ses sociétés visent à l’empêcher d’exercer ses activités commerciales et de retirer le bénéfice de telles activités. Il apparait de ce fait que le Requérant invoque principalement ses droits d’user de ses sociétés (usus) et de jouir des revenus (fructus).

i.   Violation alléguée de l’article 14 de la Charte en ce qui concerne la société SOCOTRAC

266.    S’agissant du retrait de l’agrément de commissionnaire en douane de la SOCOTRAC, la Cour relève que l’État défendeur se borne à faire valoir qu’il s’agissait d’une sanction pour non-respect des conditions légales sans expliciter la nature des conditions à remplir et si celles-ci résultent d’une nouvelle règlementation ou si elles existaient au moment de la constitution de la Société en 2004. L’État défendeur n’expose pas non plus si, en l’espèce, une mise en demeure, assortie de moratoire avait été préalablement adressée à la société SOCOTRAC.

267.    La Cour note, en outre, que contrairement à l’argument avancé par l’État défendeur, les lettres en date des 21 et 23 novembre 2016 portant respectivement suspension du terminal à conteneur de la société SOCOTRAC et retrait de l’agrément de Commissionnaire en douane de la société SOCOTRAC, indiquent expressément que lesdites mesures sont prises « suite à la découverte de 18 kg cocaïne, produit prohibé, dans un conteneur disant contenir des gésiers de dinde importés par la société COMON et destinés à être transférés sur le terminal à conteneur.. » du Requérant.

268.    Au regard des motifs exposés dans les deux lettres citées ci-dessus, la Cour estime que c’est à tort que l’administration des douanes a pris les deux décisions les 21 et 23 novembre 2016 alors que déjà le 04 novembre 2016, le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou statuant sur cette affaire de 18 kg de cocaïne avait relaxé le Requérant.

269.    La Cour conclut que l’État défendeur a violé l’article 14 de la Charte en empêchant le Requérant d’exercer son activité commerciale et de jouir des revenus qu’il en tire.

ii.  Violation alléguée de l’article 14 de la Charte en ce qui concerne la radio Soleil FM et SIKKA TV

270. S’agissant de la Coupure des signaux d’émission de la radio Soleil FM et de la chaine de télévision SIKKA TV, la Cour note que les décisions ayant entraîné les violations alléguées ont été prises par l’autorité de Régulation des médias au mépris des règles de forme et de procédure normale en vigueur[35].

271.    Il ressort des pièces du dossier qu’avant la décision de la HAAC de mettre fin aux activités des médias en cause et d’apposer des scellés sur les portes de la télévision SIKKA TV, la HAAC ne s’est pas conformée à la Règlementation en vigueur qui voudrait que le Requérant, titulaire des autorisations, soit mis en demeure et qu’elle attende de constater l’inobservation des conditions qu’il lui incombait de remplir.

272.    La Cour conclut qu’en procédant à la fermeture de la radio Soleil Fm et de la télévision SIKKA TV, l’État défendeur a violé les droits du Requérant prévus à l’article 14 de la Charte.

F.  Violation alléguée du devoir de l’État de garantir l’indépendance des tribunaux

273.    Le Requérant fait valoir que l’État défendeur a violé l’article 26 de la Charte par manquement à son obligation de garantir la séparation des pouvoirs, notamment l’indépendance de la justice. Il dénonce l’immixtion du pouvoir politique dans le déroulement de la procédure judiciaire engagée contre lui et parle de « complot et de machination ourdis au plus haut sommet de l’État » et dont la justice se fait l’exécutant.

274.    Il soutient que le dysfonctionnement et les nombreuses irrégularités qui ont émaillé le déroulement de l’enquête sont la preuve que la justice de son pays est instrumentalisée et qu’il est tout simplement apparu comme étant une cible privilégiée.

275.    Le Requérant affirme que le Chef de l’État a lui-même entretenu la confusion entre ses prérogatives et celles de l’autorité judiciaire en se mêlant à la procédure qui, en définitive, n’a été qu’un simulacre de procès ayant abouti à un jugement de relaxe. Le Requérant soutient ses allégations en citant les termes d’un communiqué de presse publié le 4 mai 2018 par le principal syndicat des magistrats du Bénin dénonçant « une main - mise ou la « caporalisation » du judiciaire par le pouvoir exécutif.

276.    Le Requérant fait, en outre, valoir qu’après l’adoption de la loi portant création de la CRIET, le ministre de la Justice et de la législation ainsi que le Chargé de mission à la Présidence de la République, le premier au cours d’une conférence de presse le 2 octobre 2018 et le second sur les chaines de la télévision AFRICA24, ont publiquement affirmé que la CRIET était compétente pour connaitre de « l’affaire Ajavon ».

*

277.    L’État défendeur réfute les allégations du Requérant tendant à faire croire que le Chef de l’État s’est mêlé à la procédure engagée contre lui. Il soutient que la justice au Bénin est indépendante et que les propos du Requérant mettant en cause l’indépendance de la justice et insinuant une prétendue ingérence du Chef de l’État dans ladite affaire constituent un outrage au Chef de l’État et un discrédit porté à la justice béninoise.

278.    L’État défendeur soutient en outre que ce n’est pas en qualité de chargé de mission que le sieur Édouard LOKO, Chargé de mission à la Présidence de la République, est intervenu sur AFRICA24, mais plutôt en tant que simple citoyen béninois. Il ajoute qu’il en est de même du ministre de la Justice qui, intervenant en sa qualité de juriste, a pris le soin de préciser que le Bénin a « des juges souverains qui auront la liberté de dire le droit ».

***

279.    L’article 26 de la Charte dispose que « Les États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte ».

280.    La Cour fait remarquer que la garantie de l’indépendance des juridictions impose aux États, non seulement le devoir de consacrer cette indépendance dans leur législation mais aussi l’obligation de s’abstenir de toute immixtion dans les affaires de la justice et ce, à tous les niveaux de la procédure judiciaire.

281.    En l’espèce, la Cour a déjà relevé que les propos tenus par les responsables de l’exécutif dans cette affaire de trafic international de drogue étaient de nature à influencer la procédure d’enquête ainsi que l’opinion du juge. Il en a été ainsi particulièrement, lorsque le 2 octobre 2018, alors que la procédure devant la CRIET était déjà engagée contre le Requérant, le ministre de la Justice a publiquement déclaré que « par rapport à l’affaire Ajavon, la CRIET est compétente pour connaître de ce dossier ». Dans leur contenu, les propos du Ministre ne s’apparentent pas à une déclaration d’ordre général sur la compétence de la CRIET mais plutôt à une affirmation sur la compétence de cette juridiction en lien avec une affaire spécifique pendante devant elle. Le fait qu’il ait ajouté que les juges souverains auront l’occasion de dire le droit n’enlève rien au caractère affirmatif de ses propos sur la compétence de la CRIET. A cet égard, la Cour estime que le pouvoir exécutif s’est immiscé dans les fonctions du juge, seul habilité, pourtant, à statuer sur sa propre compétence.

282.    La Cour conclut qu’en déclarant ainsi la compétence de la CRIET pour connaitre spécifiquement d’une affaire dont elle est saisie, le ministre de la Justice, membre de l’exécutif s’est immiscé dans les fonctions du juge en violation de l’article 26 de la Charte.

VIII.    SUR LES RÉPARATIONS

283.    Le Requérant allègue que l’affaire prétendue de trafic de drogue lui a causé une série de préjudices évalués à cinq cent cinquante milliards (550 000 000 000) francs CFA dont il demande la réparation. Il expose qu’il a subi des préjudices économiques et moraux et soutient que cette procédure lui a occasionné des pertes d’opportunités d’affaires et a terni son image et sa réputation.

*

284.    L’État défendeur réfute toute idée de réparation au profit du Requérant et estime qu’aucune des conditions requises en droit pour obtenir réparation n’est remplie. Il soutient qu’il ne suffit pas d’invoquer un préjudice pour obtenir réparation, mais il faut que celui-ci présente un caractère suffisamment certain et qu’il y ait un lien entre le préjudice et le fait générateur. L’État défendeur demande à la Cour de condamner le Requérant à lui payer la somme d’un milliard cinq cent quatre-vingts et quinze millions huit cent cinquante mille (1 595 850 000) francs CFA à titre de dommages et intérêts.

***

285.    L’article 27 (1) du Protocole dispose que « [l] orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».

286.    À cet égard, l’article 63 du Règlement dispose comme suit : « La Cour statue sur la demande de réparation introduite en vertu de l’article 34 (5) du présent Règlement, dans l’arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l’homme ou des peuples, ou si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».

287.    Dans la présente affaire et en application des dispositions de l’article 63 ci-dessus, la Cour décide qu’elle rendra sa décision sur les réparations à une phase ultérieure de la procédure.

IX.      SUR LES FRAIS DE PROCEDURE

288.    Le Requérant prie la Cour d’ordonner à l’Etat défendeur de lui rembourser les frais de procédure qu’il a engagés au niveau des procédures nationales et devant la Cour de céans.

289.    L’Etat défendeur réfute toutes les demandes du Requérant et demande à la Cour de les déclarer non fondées.

290.    L’article 30 du Règlement prévoit que  « sauf décision contraire de la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure ».

291.    Dans la presente affaire la Cour décide qu’elle statuera sur les frais de procedure a une phase ultérieure.

X.       DISPOSITIF

292.    Par ces motifs,

LA COUR,

À l’unanimité

Sur la compétence :

i. Rejette les exceptions d’incompétence ;

ii. Dit qu’elle est compétente.

Sur la recevabilité :

iii.  Rejette les exceptions d’irrecevabilité ; 

iv.  Déclare la Requête recevable ;

v.  Déclare que les demandes additionnelles relatives à la loi portant création de la CRIET et à la procédure devant la CRIET soumises le 14 janvier 2019, à l’exception de celles mentionnées au paragraphe (vi) ci-dessous, ont une connexité avec la Requête initiale et sont recevables ;

vi.  Déclare que les autres demandes additionnelles soumises le 14 janvier 2019 n’ont aucun lien avec la Requête initiale et sont donc irrecevables;

Sur le fond

vii.  Déclare sans objet l’allégation du Requérant selon laquelle il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable ;

viii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à l’égalité devant la loi garanti par l’article 3 de la Charte devant le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou ;

ix.  Dit que les conditions d’arrestation et la garde à vue du Requérant n’étaient pas en violation de l’article 5 de la Charte ;

x.   Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la liberté et à la sécurité de sa personne prévu à l’article 6 de la Charte ;

xi.  Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à une égale protection de la loi garanti à l’article 3 de la Charte en ce que l’article 12 de la loi du 2 juillet 2018 portant création de la CRIET n’établit pas l’égalité entre les parties ;

xii.  Dit que l’État défendeur a violé l’article 5 de la Charte en portant atteinte à l’honneur, à la réputation et à la dignité du Requérant ;

xiii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant d’être jugé par une juridiction compétente prévu à l’article 7(1)(a) de la Charte ;

xiv. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la présomption d’innocence consacré à l’article 7(1)(b) de la Charte ;

xv. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant de faire valoir des éléments de preuve au sens de l’article 7(1)(c) de la Charte;

xvi. Dit que l’Etat défendeur a violé le droit du Requérant de recevoir notification des  charges et d’accéder au dossier de la procédure au sens de l’article 7(1)(c) de la Charte ;

xvii.       Dit que l’Etat défendeur a violé le droit du Requérant de se faire représenter par un conseil au sens de l’article 14(3)(d) du PIDCP ;

xviii.      Dit que l’État défendeur a violé le droit de propriété du Requérant prévu à l’article 14 de la Charte ;

xix. Dit que l’État défendeur a violé l’article 26 de la Charte en ne s’acquittant pas de son devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux ;

xx. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant au double degré de juridiction garanti à l’article 14(5) du PIDCP en ce que l’article 19 alinéa 2 de la loi du 2 juillet 2018 portant création de la CRIET dispose que les décisions de cette juridiction ne sont pas susceptibles d’appel ;

xxi.      Dit que l’État défendeur a violé le principe « non bis in idem » prévu à l’article 14(7) du PIDCP ;

Sur les réparations

xxii.      Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour annuler l’arrêt n°007/3C.COR rendu le 18 octobre 2018 par la CRIET de manière à en effacer tous les effets et de faire rapport à la Cour dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

xxiii.     Dit qu’elle statuera sur les autres demandes de réparations à une phase ultérieure ;

Sur les frais de procédure

xxiv.     Dit qu’elle statuera sur la demande des frais de procédure à une phase ultérieure.

 

Ont signé :

Sylvain ORÉ, Président

Ben KIOKO, Vice-Président

Gérard NIYUNGEKO, Juge

El Hadji GUISSÉ, Juge 

Rafaâ BEN ACHOUR, Juge

Ângelo V. MATUSSE, Juge

Suzanne MENGUE, Juge

M-Thérèse MUKAMULISA, Juge

Tujilane R. CHIZUMILA, Juge

Chafika BENSAOULA, Juge

et

Robert ENO, Greffier

 

Fait à Arusha, ce vingt-neuvième jour du mois de mars de l’an deux mille dix-neuf, en anglais et en français, le texte français faisant foi.

Conformément aux articles 28(7) du Protocole et 65 du Règlement, les opinions individuelles des  Juges Gérard Niyungeko et Chafika Bensaoula sont jointes au présent arrêt.

 

[1] Requête n°009-011/2011, Arrêt du 14 juin 2016, (Recevabilité), Rév. Christopher Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Rév. Christopher Mtikila c. République-Unie de Tanzanie (Recevabilité)»), § 82.1.

[2] Requête n°003/2012, Arrêt du 28 mars 2014 (Recevabilité), Peter Joseph Chacha c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné «Peter Joseph Chacha c. République-Unie de Tanzanie (Recevabilité) »), § 114.

[3] Voir le dictionnaire de droit international public, édition Bruyant, Bruxelles 2001. P.916.

[4] Requête n°038/2016, Arrêt du 22 mars 2018 (Recevabilité), Jean-Claude Roger Gombert c. République de Côte d’Ivoire, (ci-après désigné « Arrêt Jean-Claude Roger Gombert c. République de Côte d’Ivoire (Recevabilité) ») § 47.

[5] Requête n°004/2013. Arrêt du 5/12/2014 (Fond), Lohé  Issa Konaté c. Burkina Faso, (ci-après désigné « Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (sur le fond »), § 71 ; CADHP, Communication n°268/03-RADH c. Nigeria (2005), §§ 38-40.

Communication n°284/03 Zimbabwe Lawyers of Human Rights and Associated Newspapers of Zimbabwe c. Zimbabwe – 2005 – , §§ 51–53.

[6] Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Fond), op.cit. § 70.

[7] Comité des droits de l’homme : Communication N° 1128/2002 : Rafael Marques de Morais c. Angola ; constatation du 14 mars 2005, § 6.8.

[8] Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Fond), op.cit. § 72.

[9] L’article 206 du Code de procédure pénale béninois dispose comme suit : « toute personne ayant fait l’objet d’une garde à vue ou d’une détention abusive peut, lorsque la procédure aboutit à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement passée en force de chose jugée, obtenir une indemnisation si elle établit qu’elle a subi du fait de sa détention ou garde à vue un préjudice actuel d’une gravité particulière ».

[10] Requête n° 005/2013, Arrêt du 20/11/2015 (Fond), Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (ci — après désigné « Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (Fond) »), § 64.

[11] Voir les articles 7, 114 et 117 de la Constitution du 11 décembre 1990.

[12] Depuis 2002, la Cour constitutionnelle ne se limite plus à constater les violations aux droits de l’homme, mais elle décide aussi des réparations comme ce fut le cas dans les décisions : Décision DCC 02-052 du 31 mai 2002, Fanou Laurent, Rec., 2002, p. 217 ; Décision DCC 13-053 du 16 mai 2013, Serge Prince Agbodjan. Décision DCC 02-058 du 04 juin 2002 Favi Adèle et jugement n° 007/04 du 09 février 2004 du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou.

[13] Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso du 28/03/2014 (Fond), op.cit. § 68. Lohé Issa Konaté c. Burkina-Faso (Recevabilité), op.cit. § 108.

[14] Requête n°009-011/2011, Arrêt du 14 juin 2013 (recevabilité): Rév. Christopher Mitikila c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Rév. Christopher Mitikila c. République-Unie de Tanzanie (Recevabilité)»), § 82.1.

[15] CEDH, Requête n° 21893/93, Akdivar et autres c. Turquie, Arrêt du 16 septembre 1996, § 50. Voir également Requête n° 25803/94, Selmouni c. France, Arrêt du 28 juillet 1999, § 74.

 

[16] Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Recevabilité), op.cit. § 114.

[17] Ce texte dispose que « Dès l’installation de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, les procédures relevant du domaine attribué à sa compétence dont l’enquête ou l’instruction serait en cours devant les juridictions compétentes sont, sur réquisition des représentants du Ministère public compétent, transférées au Procureur spécial de la cour pour continuation selon le cas, de l’enquête de parquet par le Procureur spécial, de l’instruction par la commission de l’instruction, du règlement du contentieux des libertés et de la détention par la chambre des libertés et de la détention et du jugement par la cour ».

[18] CEDH : Arrêt Georg Brozicek c. Italie du 19 décembre 1989, op.cit. §§ 57 et 58.

[19] Ibidem. § 38.

[20] Arrêt Aktivar et autres c. Turquie op.cit. § 73.

[21] L’article 7 (1) (c) de la Charte dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :… c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».

L’article 14.3 (d) du PIDCP dispose comme suit : « Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garantis suivantes : ⌠…⌡d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer ».

[22] Voir l’article 4 du Protocole N°7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 22 novembre 1984.

[23] La Cour européenne a estimé que le principe non bis in idem doit être compris comme « interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde “infraction” pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substances les mêmes. Cf. CEDH, Requêtes n° 18640/10 ; 18 647/10 ; 18 663/10 ; 18 668/10 ; 18 698/10 : Grande Stevens et autres c. Italie, Arrêt du 04/03/2014, § 219

[24] CEDH, Requête N° 8660/79 ; Affaire Minelli c. Suisse, Arrêt du 25/03/1983, §§ 27 et 37, Série A n° 62.

[25] Voir CEDH, Requête n° 15175/89, Affaire Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, § 41.

[26] « Ayant droits de feu Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Fond) »)  op. cit. § 92 ; Requête n°007/2013 Arrêt du 3/6/2013 (Fond), Abubakari Mohamed c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Abubakari Mohamed c. République-Unie de Tanzanien (Fond) »), § 91 ; Requête n°011/2015, Arrêt du 28/09/2017 (Fond) Christopher Jonas c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Christopher Jonas c. République-Unie de Tanzanie (Fond) »), § 52.

[27] Idem.

[28] L’article 19 alinéa 2 dispose comme suit : « Les arrêts de la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme sont motivés. Ils sont prononcés en audience publique. Ils sont susceptibles de pourvoi en cassation du condamné, du ministère public et des parties civiles ».

[29] Observation Générale N° 32 op.cit. § 45.

[30] Voir la note n°17 sous le § 120 du présent Arrêt.

[31] CDH. Communication N° 2783/206 : Karim Meïssa WADE c. Sénégal, § 12,4

[32] Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (Fond), op.cit. § 140 ; Requête n° 032/2015, Arrêt du 21/21/2018 (Fond), Kijiji Isiaga c. République — Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Kijiji Isiaga c. République – Unie de Tanzanie (Fond) »), § 85.

[33] Aux termes de l’article 10 de la loi portant création de la CRIET, il est établi en son sein une commission d’instruction, composée d’un président et de deux (02) magistrats et chargée de l’instruction des affaires.

[34] Requête n° 006/2012, Arrêt du 26/05/2017 (Fond), Commission c. Kenya (ci-après désigné « Commission c. Kenya (Fond) »), § 124.

[35] Selon la Loi organique relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) en République du Bénin, « en cas d’inobservation des recommandations, décisions et mises en demeure par les titulaires des autorisations d’installation et d’exploitation des sociétés de radiodiffusion sonore et de télévision privées... »

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