African Commission on Human and Peoples' Rights c République Du Kenya (Requête N° 006/2012) [2019] AfCHPR 22 (4 juillet 2019)

African Commission on Human and Peoples' Rights c République Du Kenya (Requête N° 006/2012) [2019] AfCHPR 22 (4 juillet 2019)

AFRICAN UNION



UNION AFRICAINE




UNIÃO AFRICANA


AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS

COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES





DEMANDES D'INTERVENTION DE

WILSON BARNGETUNY KOIMET ET 119 AUTRES

ET DE

PETER KIBIEGON RONO ET 1300 AUTRES



EN L'AFFAIRE



COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES



C.



RÉPUBLIQUE DU KENYA



REQUÊTE N°006/2012



ORDONNANCE

(INTERVENTION)



4 JUILLET 2019





Sommaire







La Cour composée de : Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, M.-Thérèse MUKAMULISA, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella I. ANUKAM, Imani D. ABOUD : Juges, et Robert Eno, Greffier.



Conformément aux dispositions des articles 22 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») de l’article 8(2) du Règlement de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), le Juge Ben KIOKO, Vice-président de la Cour et de nationalité kenyane, n’a pas siégé dans l’affaire.



Sur les Requêtes de:



i. Wilson Barngetuny KOIMET et 119 autres, résidents d’Amalo, Ambuseket et Cheptuech ;



ii. Peter Kibiegon RONO et 1300 autres, résidents de Sigotik, Nessuit, Ngongongeri, Kapsita et Marioshoni



Représentés par :



Maître Bore Peter KIPROTICH, du Cabinet Bore, Malanga & Company



Maître Geoffrey Korir KIPNGETICH, du Cabinet Geoffrey Kipngetich & Company



Aux fins d’intervention en l’affaire :













COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES



contre



RÉPUBLIQUE DU KENYA



Après en avoir délibéré



Rend l’ordonnance suivante :





I. BREF HISTORIQUE



1. Le 26 mai 2017, la Cour a rendu son arrêt sur le fond dans la Requête déposée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission ») contre la République du Kenya (ci-après dénommée « l’État défendeur »). Dans son arrêt, la Cour a conclu que l'État défendeur avait violé les articles 1, 2, 8, 14, 17(2) et (3), 21 et 22 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») dans le cadre de ses relations avec la communauté Ogiek de la forêt de Mau et ses environs.



2. La Cour a réservé sa décision sur les réparations tout en autorisant les Parties à déposer leurs observations sur les réparations. Les Parties ont soumis leurs observations sur les réparations et la procédure a été clôturée le 20 septembre 2018. La question est actuellement en délibération devant la Cour.



3. Le 16 avril 2019, la Cour a reçu deux Requêtes. La première Requête a été déposée par Wilson Barngetuny Koimet et 119 autres, qui résident à Amalo, Ambusket et Cheptuec, dans l’État défendeur. La deuxième Requête a été déposée par Peter Kibiegon Rono et 1300 autres, qui résident à Sigotik, Nessuit, Ngongongeri, Kapsita et Marioshoni, des localités de l’État défendeur. (toutes ces personnes seront ci-après collectivement dénommées « les Requérants »).



4. Étant donné que les deux Requêtes ont le même objet et demandent des mesures de soulagement similaires, à savoir si les Requérants peuvent être autorisés à intervenir dans la présente affaire, la Cour estime qu’elle examinera les deux Requêtes simultanément.





II. OBJET DE LA REQUÊTE



A. Les Faits de la Cause



5. Dans la Requête formée par Wilson Barngetuny Koimet et 119 autres, les Requérants font valoir qu’ils sont légalement propriétaires de terres situées à Amalo, Ambusket et Cheptuech depuis 1958. Ils font aussi valoir que leurs terres sont situées dans le Grand Complexe de la Forêt de Mau, objet de l’affaire qui oppose la Requérante et l’État défendeur.



6. Dans la Requête déposée par Peter Kibiegon Rono et 1300 autres, les Requérants affirment qu’ils résident sur des parcelles de terre situées à Sigotik, Nessuit, Ngongongeri, Kapsita et Marioshoni et sont propriétaires légaux de leurs parcelles. Ils indiquent, par ailleurs, que leurs terres font partie de celles à l’origine du conflit entre la Requérante et l’État défendeur, soumis à l’examen de la Cour.









7. Dans les deux Requêtes, les Requérants ont soulevé les questions suivantes:



i. L’arrêt rendu le 27 mai 2017 par la Cour risque de porter atteinte à leurs intérêts en tant que propriétaires de terres situées dans le Grand Complexe de la Forêt de Mau, d’autant plus qu’il a été prononcé sans que l’un d’eux ait eu la possibilité de se faire entendre.



ii. Les membres de la communauté Ogiek ont induit la Cour en erreur et obtenu l’arrêt du 27 mai 2017 par des moyens frauduleux et la dissimulation de faits importants, par exemple, le fait que la communauté Ogiek a petit à petit vendu ses terres à des non-Ogiek, notamment aux parties souhaitant intervenir.



iii. L’arrêt rendu par la Cour sur le fond leur a porté préjudice et les a désavantagés, la Cour ayant tiré ses conclusions sans leur donner la possibilité de faire entendre leur cause.



iv. L’arrêt de la Cour sur les réparations va vraisemblablement violer de manière irréparable et fondamentale leurs droits, notamment s’il est prononcé sans qu’ils aient été entendus.



v. Il est dans l’intérêt de la justice de permettre aux Requérants d’entrer dans la procédure, étant donné que cela devrait leur permettre de protéger leurs droits.



B. Demandes des Requérants



8. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner :

«

1. Que cette affaire soit déclarée urgente et qu’il soit, en premier lieu, dérogé à la signification.

2. Que les Requérants soient autorisés à entrer dans la procédure en qualité de parties souhaitant intervenir.



3. Toute ordonnance et/ou de donner toute orientation qu’elle jugera juste et équitable dans l’intérêt de la justice ». (TRADUCTION)



9. La Cour relève que bien qu’il y ait deux Requêtes, les mesures demandées par les Requérants sont présentées telles que formulées ci-dessus dans les deux Requêtes.





III. SUR LA RECEVABILITÉ DES REQUÊTES



10. La Cour note que la question à trancher est celle de savoir si oui ou non les Requêtes des Requérants sont recevables. À cette fin, la Cour doit déterminer si la Charte, le Protocole, le Règlement et les autres textes applicables permettent l’approbation des mesures demandées par les Requérants.



11. La Cour observe que l’article 5(2) du Protocole dispose : « Lorsqu’un État partie estime avoir un intérêt dans une affaire, il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention ».



12. La Cour relève que les dispositions de l’article 5(2) du Protocole sont reprises par l’article 33(2) du Règlement dans les termes suivants : « Conformément à l’article 5(2) du Protocole, un État Partie qui estime avoir un intérêt dans une affaire peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention suivant la procédure établie par le présent Règlement en son article 53 ».



13. La Cour note en outre que l’article 53 du Règlement prévoit ce qui suit :

«

1. La requête aux fins d’intervention visée à l’article 5.2 du Protocole est déposée, le plus tôt possible, en tout cas, avant la clôture de la procédure écrite.



2. La requête indique le nom des représentants du requérant. Elle précise l’affaire qu’elle concerne et spécifie :



a) l’intérêt d’ordre juridique qui, selon l’État intervenant, est pour lui en cause ;

b) l’objet précis de l’intervention ;

c) toute base de compétence qui, selon l’État intervenant, existerait entre lui et les parties.



3. La requête contient un bordereau des documents à l’appui qui sont annexés ; elle doit être dûment motivée.



4. Copie certifiée conforme de la requête est immédiatement transmise aux parties, qui ont droit de présenter des observations écrites dans un délai fixé par la Cour ou, si elle ne siège pas, par le Président. Le Greffier transmet également copie de la requête à toute autre entité concernée visée à l’article 35 du présent Règlement.



5. Si elle déclare la requête recevable, la Cour fixe un délai dans lequel l’État intervenant devra présenter ses observations écrites. Celles-ci sont transmises par le Greffier aux parties à l’instance, qui sont autorisées à y répondre par écrit dans un délai fixé par la Cour.



6. L’État intervenant a le droit de présenter des observations sur l’objet de l’intervention au cours de la procédure orale, si la Cour décide d’en tenir une ».



14. Il ressort manifestement de l’ensemble des dispositions susvisées que ni le Protocole ni le Règlement ne prévoient un mécanisme permettant à une tierce partie, qui n’est pas un État, d’intervenir dans une procédure en cours. En outre, il est tout aussi clair que même lorsque les États sont autorisés à intervenir dans une procédure en cours, ils doivent le faire avant la clôture de la procédure - Article 53(1) du Règlement.



15. La Cour tient à rappeler que la genèse de cette affaire qui oppose la Commission et l’État défendeur remonte à une requête déposée devant elle le 12 juillet 2012. La Commission avait été antérieurement saisie d’une communication le 14 novembre 2009. Comme souligné plus haut, l’arrêt de la Cour sur le fond a été rendu le 26 mai 2017. Entre le moment où l’arrêt sur le fond a été prononcé et celui où les Requérants ont déposé leurs Requêtes en intervention, il s’est écoulé un délai d’un (1) an et onze (11) mois. Il importe également de noter qu’une période de six (6) ans et huit (8) mois s’est écoulée entre l’introduction de l’instance devant la Cour et le dépôt de Requêtes aux fins d’intervention. La Cour dresse un constat judiciaire du fait que le contentieux entre la Commission et l’État défendeur a continué de retenir l’attention des médias dans l’État défendeur, si bien que l’on peut dire sans risque de se tromper que l’existence de cette affaire est de notoriété publique, du moins dans l’État défendeur, en particulier dans les zones de résidence des actuels Requérants. Dans ce contexte, les Requérants n’ont fourni aucune explication quant au dépôt tardif de leurs Requêtes.



16. En conséquence, la Cour, tenant compte des dispositions du Protocole et du Règlement, considère qu’elle n’a aucune raison d’accueillir les demandes d’intervention des Requérants et les rejette en conséquence.

IV. FRAIS DE PROCÉDURE



17. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 30 de son Règlement, « A moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ». En l’espèce, la Cour, consciente de la nature particulière des Requêtes soumises à son attention, n’adjuge pas les dépens.





V. DISPOSITIF



18. Par ces motifs





LA COUR :

À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre (opinion dissidente de la Juge Bensaoula)



(i) Dit que les Requêtes sont irrecevables ;



Sur les frais de procédure



(ii) Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.





Ont signé



Rafâa BEN ACHOUR, (Juge doyen) ;



et



Dr Robert ENO, Greffier.



Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à l’article 60(5) du Règlement, l’opinion dissidente de la Juge Bensaoula est jointe à la présente ordonnance.



Fait à Arusha, ce quatrième jour du mois de juillet de l'an deux mil dix-neuf, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.



1


▲ To the top