AFRICAN UNION |
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UNION AFRICAINE |
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UNIÃO AFRICANA | |
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES |
AFFAIRE
ALEX THOMAS
C.
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE n° 005/2013
ARRÊT
(RÉPARATIONS)
4 JUILLET 2019
SOMMAIRE
II. BREF HISTORIQUE DE L'AFFAIRE 3
III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS 3
IV. MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES 4
A. Mesures demandées par le Requérant 4
c. Principe de proportionnalité 7
d. Mesures de satisfaction et garanties de non-répétition 7
B. Mesures demandées par l’État défendeur 7
i. Préjudice matériel - perte de revenus et du projet de vie 10
a. Préjudice moral subi par le Requérant 13
b. Préjudice moral subi par les victimes indirectes 16
B. Réparations non pécuniaires 22
ii. Garanties de non-répétition et rapport sur la mise en œuvre 23
iii. Mesures de satisfaction 25
VI. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 26
A. Frais d’avocat en rapport avec la procédure devant la Cour de céans 26
La Cour composée de : Sylvain ORÉ, Président ; Ben KIOKO, Vice-président; Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella I. ANUKAM, Juges; et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l'article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à l’article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD, de nationalité tanzanienne, n'a pas siégé dans l’affaire.
En l’affaire :
Alex THOMAS
représenté par :
Me Donald Omondi DEYA, Union panafricaine des avocats (UPA)
contre
RÉPUBLIQUE- UNIE DE TANZANIE
représentée par:
i. Dr Clement J. MASHAMBA, Solicitor General, Cabinet du Solicitor General ;
ii. Mme Sarah MWAIPOPO, Directrice des affaires constitutionnelles et des droits de l’homme, Cabinet de l’Attorney General ;
iii. M. Edson MWEYUNGE, Directeur adjoint, Division des contrats et des traités, Cabinet de l’Attorney General;
iv. Mme Nkasori SARAKIKYA, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney General ;
v. M. Mark MULWAMBO, Senior State Attorney, Cabinet de l’Attorney General ;
vi. Mme Sylvia MATIKU, Senior State Attorney, Cabinet de l’Attorney General;
vii. M. Baraka LUVANDA, Ambassadeur, Chef du Département des affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères, de l’Afrique de l’Est et de la Coopération régionale et internationale;
viii. Mme Blandina KASAGAMA, Juriste, ministère des Affaires étrangères, de l'Afrique de l'Est et de la Coopération régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent arrêt :
I. OBJET DE LA REQUÊTE
1. La demande de réparations a été déposée par M. Alex Thomas (ci-après désigné « le Requérant ») contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l’État défendeur ») en application de l’arrêt rendu sur le fond par la Cour en date du 20 novembre 2015. Dans ledit arrêt, la Cour conclut que l’État défendeur a violé les articles 1, 7(1)(a), (c) et (d) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») et l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné « le PIDCP ») en rendant sa décision finale sur l’accusation de vol à main armée en l’absence du Requérant et en s’abstenant de lui garantir l’assistance d’un avocat à toutes les étapes de la procédure.
2. Ayant constaté ces violations, la Cour a, en conséquence, ordonné à l’État défendeur de « prendre toutes les mesures requises dans un délai raisonnable pour remédier aux violations constatées, en excluant en particulier la possibilité de reprendre la présentation des moyens de la défense et de rouvrir le procès, et d'informer la Cour des mesures prises, dans un délai de six (6) mois à compter de la date du présent arrêt ».
3. Conformément à l’article 63 du Règlement, la Cour a ordonné au Requérant de déposer son mémoire sur les réparations dans un délai de trente (30) jours après la date de notification de l’arrêt du 20 novembre 2015 et à l’État défendeur de déposer son mémoire en réponse dans les trente (30) jours suivant la réception des observations du Requérant.
II. BREF HISTORIQUE DE L'AFFAIRE
4. L’arrêt susmentionné rendu par la Cour le 20 novembre 2015 porte sur le fond de la requête déposée par le Requérant le 2 août 2013. Dans cette requête, il allègue que son droit à un procès équitable, garanti par la Charte (ci-après désignée « la Charte »), a été violé par l’État défendeur au cours de la procédure à l’issue de laquelle il a été reconnu coupable de vol à main armée et condamné à trente (30) de réclusion.
III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
5. Le 27 novembre 2015, le Greffe a transmis aux Parties une copie certifiée conforme de l’arrêt sur le fond.
6. Les Parties ont déposé leurs observations sur les réparations dans les délais prescrits par la Cour.
7. La procédure écrite a été clôturée le 2 novembre 2017 et les Parties en ont dûment été informées.
IV. MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES
A. Mesures demandées par le Requérant
8. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder les réparations suivantes :
«
a. Réparations pécuniaires
En faveur d’Alex Thomas en tant que victime directe :
i. Préjudice moral : calculé à mille (1000) dollars des États-Unis par mois pour chaque mois à compter de la première arrestation. Il a été arrêté pour la première fois le 22 décembre 1996, soit un total de 19 ans et deux mois de détention équivalant à deux cent trente mille (230 000) dollars des États-Unis.
ii. Préjudice matériel : cinquante-cinq mille huit cent quatre-vingt-dix (55 890) dollars des États-Unis. Le salaire imposable actuel en Tanzanie est de 81 dollars des États-Unis x 230 mois (depuis sa première arrestation) x 3 (il gagnait au moins trois fois le salaire minimum) = 55 890 dollars des États-Unis.
Pour les victimes indirectes :
…
iii. Un montant de vingt-cinq mille (25 000) dollars des États-Unis pour son fils, Emmanuel Alex Mallya ;
iv. Un montant de quarante-deux mille (42 000) dollars des États-Unis pour sa femme ;
v. Un montant de dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis pour sa mère ;
vi. Un montant de dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis pour sa sœur, Flora Amos Mallya ;
vii. Un montant de dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis pour sa sœur Anna Elinisa Swai ;
viii. Un montant de dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis pour son frère cadet, John Thomas Mallya.
Frais d’avocat :
ix. Frais d’assistance judiciaire pour quatre cents (400) heures de travail : trois cents (300) heures pour deux conseils assistants et cent (100) heures pour le conseil principal. Ce montant est facturé au taux de deux cents (200) dollars des États-Unis l'heure pour le conseil principal et de cent cinquante (150) dollars des États-Unis l'heure pour les assistants. Le montant total s'élève à vingt mille (20 000) dollars des États-Unis pour le conseil principal et à quarante-cinq mille (45 000) dollars des États-Unis pour les deux assistants ;
x. Neuf cent cinquante-deux (952) dollars des États-Unis à titre de frais d’avocat pour le conseil qui a aidé à la rédaction et à la préparation des déclarations sous serment.
Transport, honoraires et articles de papeterie :
xi. Frais d’impression, de photocopie et de reliure : mille (1 000) dollars des États-Unis ;
xii. Le conseil principal et son assistant se sont rendus à Addis-Abeba (Éthiopie) en décembre 2014 pour l'audience publique. Les billets d’avion, les frais de taxi et d’hôtel et les indemnités journalières s’élèvent à deux mille neuf cent quarante-sept (2 947) dollars des États-Unis ;
xiii. Les frais de transport entre le siège de la Cour africaine et le Secrétariat de l’UPA s'élèvent à cent trente-neuf (139) dollars des États-Unis ;
xiv. Les coûts de communication s’élèvent à mille (1000) dollars des États-Unis ;
xv. Les voyages à destination et en provenance de la prison de Karanga s’élèvent à trois cent quatre-vingt (380) dollars des États-Unis ;
xvi. Les frais de transport des membres de la famille d’Alex Thomas vers Arusha pour les déclarations sous serment s’élèvent à cinquante-deux (52) dollars des États-Unis ;
xvii. Toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.
b. Remise en liberté
Le Requérant, Alex Thomas, demande à la Cour d’ordonner sa remise en liberté.
c. Principe de proportionnalité
Le Requérant demande à la Cour d’appliquer le principe de proportionnalité lorsqu’elle examinera ses arguments.
d. Mesures de satisfaction et garanties de non-répétition
Le Requérant demande à la Cour d’ordonner au Gouvernement de publier l’arrêt du 20 novembre 2015 au Journal officiel, en anglais et en Kiswahili, à titre de mesure de satisfaction ».
B. Mesures demandées par l’État défendeur
9. L'État défendeur demande à la Cour ce qui suit :
«
1. Dire que l'arrêt rendu par la Cour le 20 novembre 2015 constitue une réparation suffisante (sic)…,
2. Ordonner au Requérant de soumettre à la Cour et à l’État défendeur les justificatifs et les éléments de preuve à l’appui des montants demandés,
3. Ordonner que les frais d'avocat à rembourser soient fixés conformément au barème du système d'assistance judiciaire, sur la base d’une estimation de la Cour tant pour l'affaire principale que pour l'affaire subsidiaire portant sur les réparations,
4. Dire que la demande de remise en liberté du Requérant est rejetée, conformément à l'arrêt de la Cour sur le fond au paragraphe 161, point viii),
5. Dire que la demande de remise en liberté du Requérant équivaut à outrage à la Cour,
6. …
7. …
8. Dire que les mesures prises par le Gouvernement tanzanien pour remédier aux retards enregistrés et les efforts en vue de fournir une assistance judiciaire au Requérant constituent une réparation suffisante,
9. Dire que le Requérant n’a pas droit à des mesures de réparation,
10. Dire que la demande de réparations est rejetée dans son entièreté, avec dépens,
11. Ordonner toute autre mesure que la Cour estime appropriée1».
V. SUR LES RÉPARATIONS
10. L'article 27(1) du Protocole dispose : « Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
11. La Cour tient à rappeler ses arrêts antérieurs2 et réaffirme que, « pour examiner et évaluer les demandes en réparation de préjudices résultant de violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe selon lequel l'État reconnu coupable d'un fait internationalement illicite est requis de réparer intégralement les dommages causés à la victime3 ».
12. La Cour réaffirme également que l’objectif de la réparation étant notamment l’application du principe de restitutio in integrum, elle « […] doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis4 ».
13. Les mesures qu'un État doit prendre pour remédier à une violation des droits de l'homme doivent notamment inclure la restitution, I’indemnisation, la réadaptation de la victime, la satisfaction et les mesures propres à garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire5.
14. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour réitère la règle générale selon laquelle il doit exister un lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice causé et la charge de la preuve incombe au Requérant, qui doit fournir des éléments de preuve pour justifier les mesures demandées6. Le préjudice moral qui n’a pas à être prouvé fait partie des exceptions à cette règle en vertu desquelles la charge de la preuve incombe à l’État défendeur et les présomptions sont en faveur du Requérant.
15. Le Requérant a demandé son indemnisation en dollars des États-Unis. En règle générale, les dommages-intérêts devraient être accordés, dans la mesure du possible, dans la monnaie dans laquelle la perte a été subie7. La Cour détermine le montant et la devise de la réparation en tenant compte de l'équité et en considérant que le Requérant ne devrait pas supporter les fluctuations défavorables inhérentes aux activités financières.
16. La Cour observe que la demande du Requérant en vue du paiement de son indemnisation en dollars des États-Unis n’est pas justifiée. Par conséquent, la Cour considère, le Requérant en l’espèce étant un ressortissant tanzanien qui réside dans ce pays où la violation a eu lieu, qu’elle doit octroyer le montant de la réparation en shillings tanzaniens.
17. Le Requérant demande des réparations pécuniaires pour (a) le préjudice matériel qu’il a subi, (b) le préjudice moral subi par lui-même et les victimes indirectes ainsi que des réparations non-pécuniaires, à savoir (a) sa remise en liberté, (b) des garanties de non-répétition et (c) des mesures de satisfaction.
A. Réparations pécuniaires
i. Préjudice matériel - perte de revenus et du projet de vie
18. Le Requérant affirme que, même si l’arrêt du 20 novembre 2015 représente, dans une certaine mesure, une forme de réparation, la Cour devrait envisager de lui accorder une compensation monétaire basée sur le principe de l’équité afin de lui donner le sentiment d’une réparation équitable du préjudice dont il a souffert.
19. À ce sujet, le Requérant affirme qu’il était un homme d’affaires et avait en charge son fils, son épouse, sa mère, son frère et ses sœurs et que, s’il était remis en liberté, il n’aurait aucune source de revenu et devrait apprendre à survivre dans un monde très différent de ce qu’il était au moment de son incarcération. Il invoque la jurisprudence Aloeboetoe c. Surinam8 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour étayer sa demande de réparations pour perte de revenus.
20. En outre, le Requérant se plaint de la profonde perturbation de son projet de vie et de ce qu’il a été empêché de réaliser ses projets et objectifs du fait de son arrestation, de son procès et de son incarcération. Le Requérant cite aussi l’arrêt Loayza-Tamayo c. Pérou9 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour soutenir qu’il est fondé à prétendre à des réparations pour la perte de son projet de vie.
21. En conséquence, il demande à la Cour de lui octroyer un montant de cinquante-cinq mille huit cent quatre-vingt-dix (55 890) dollars des États-Unis pour préjudice matériel et perte de son projet de vie.
22. L’État défendeur conteste les réclamations du Requérant en expliquant qu’il n’a pas administré la preuve du préjudice matériel qu’il aurait subi et que les montants réclamés ne sont fondés sur aucun mode de calcul justifiable.
23. L’État défendeur fait valoir qu’il ne serait pas légal de permettre au Requérant de s’enrichir grâce à un crime qu’il a commis et pour lequel il a été légalement placé en détention. L’État défendeur affirme qu’une telle démarche irait à l’encontre de l’ordre public, serait contraire au principe de la juste compensation et rendrait inapplicable le principe de l’équité. Il soutient, en outre, qu’un projet de vie n’est pas quantifiable en termes monétaires. L’État défendeur conclut en faisant valoir que la perte de revenus par le Requérant et de son projet de vie sont les conséquences de la mise en détention dans des conditions légales du Requérant, et que la demande du Requérant devrait être rejetée.
* * *
24. La Cour rappelle sa position dans l’affaire Zongo, dans laquelle elle affirme que : « Conformément au droit international, pour qu’une réparation soit due, il faut qu’il y ait un lien de causalité entre le fait illicite établi et le préjudice allégué10 ».
* * *
25. La Cour rappelle également sa jurisprudence dans l’affaire Mtikila :
« Il ne suffit pas d’établir que l’État défendeur a enfreint des dispositions de la Charte, il faut également fournir la preuve du préjudice dont le requérant demande au défendeur de fournir la compensation. En principe, une violation de la Charte ne suffit pas pour établir un préjudice matériel11 ».
26. La Cour note que le Requérant n'a pas établi de lien entre les violations constatées dans l’arrêt sur le fond et le préjudice matériel qu'il prétend avoir subi. De plus, il n'a fourni aucune précision concernant son métier ni aucune preuve de ses gains avant son arrestation.
27. Le Requérant n’a pas justifié sa demande de cinquante-cinq mille huit cent quatre-vingt-dix (55 890) dollars des États-Unis au titre du préjudice matériel du fait de la perte de revenus et du projet de vie.
28. Compte tenu de ces arguments, la demande relative au préjudice matériel est rejetée.
ii. Préjudice moral
a. Préjudice moral subi par le Requérant
29. Le Requérant affirme qu’il a subi une longue période d’emprisonnement à la suite d’un procès inéquitable et des souffrances émotionnelles au cours de son procès, des procédures d’appel et de son recours en révision, dont les conclusions ne lui ont pas été favorables. Il soutient que ses liens avec sa femme, qui s’est entre-temps remariée, et son fils, qu’il n’a pas vu depuis l’année 2002, ont été rompus. Le Requérant indique aussi que ses relations avec sa mère et sa famille ont été rompues et qu’il a vécu une terrible torture du fait de n’avoir pas été présent pour eux et de n’avoir pas pu s’occuper d’eux en sa qualité de chef de famille et de seul soutien depuis le décès de son père.
30. Il affirme qu’il a perdu contact avec ses proches et que son projet de vie a été perturbé, voire anéanti. Le Requérant mentionne que sa santé s’est détériorée pendant son séjour en prison du fait des conditions carcérales et qu’il souffre, notamment, de pathologies telles que l’asthme bronchique marqué par des crises répétées, des douleurs au dos, une maladie articulaire dégénérative, des verrues plantaires, de l’eczéma atopique, de la rhinite allergique, une baisse de la vue et de dyspnée. Le Requérant se plaint également d’avoir perdu son statut social.
31. Concernant l’estimation du préjudice moral, le Requérant demande à la Cour de céans d’appliquer le principe de l’équité et de prendre en considération la gravité des violations, l’impact qu’elles ont eu sur lui et les atteintes générales à sa santé. Il prie aussi la Cour de tenir compte de la durée de son incarcération et de lui accorder des réparations susceptibles d’alléger les souffrances qu’il a endurées.
32. En conséquence, le Requérant demande qu’il plaise à la Cour de lui accorder un montant de deux cent trente mille (230 000) dollars des États-Unis à titre de réparation pour le préjudice moral subi du fait des violations constatées.
33. L’État défendeur fait valoir qu’il n’existe aucune preuve que le Requérant a connu des souffrances émotionnelles. L’État défendeur affirme que l’incarcération du Requérant faisait suite à la reconnaissance de sa culpabilité et sa condamnation conformes à la loi et est nécessairement source de gêne et d’angoisse pour le prisonnier. L’État défendeur explique qu’il ne peut pas renoncer à des poursuites judiciaires par crainte que les personnes accusées ne souffrent émotionnellement. Il affirme que le Requérant n’a aucun recours pendant.
34. L’État défendeur relève que la perte, par le Requérant de ses liens et de ses contacts avec sa femme, son fils, sa mère, sa famille et autres proches relève de questions privées et non légales. L’État défendeur estime que rien ne garantit que le Requérant serait toujours avec sa femme s’il n’avait pas été emprisonné et que son fils et ses proches avaient la possibilité de lui rendre visite en prison à tout moment. L’État défendeur indique que la perturbation des relations du Requérant avec sa mère et ses proches tout comme la perte de son statut social ne sont que la conséquence de ses propres agissements illégaux.
35. L’État défendeur fait valoir que le Requérant avait une santé fragile même avant la reconnaissance de sa culpabilité et sa condamnation et qu’il n’existe aucune preuve que ses problèmes de santé soient attribuables à la conduite de l’État défendeur. Au contraire, l’État défendeur a veillé à ce que le Requérant bénéficie d’un suivi médical à ses propres frais.
36. L'État défendeur affirme qu’il n’existe aucune preuve qu’il ait causé au Requérant une quelconque perte de revenus, des souffrances, des difficultés ou une détresse affective. C’est en raison du crime qu’il a commis que le Requérant se trouve dans cette situation et l’État défendeur n’a fait qu’appliquer ses lois en le retenant légalement en prison. L’État défendeur explique qu’il n’existe aucune base pour calculer les montants réclamés et que cette prétention devrait être rejetée.
* * *
37. La Cour fait observer que le préjudice moral est celui qui résulte des souffrances, de l'angoisse et du changement de conditions de vie pour la victime et ses proches12.
38. Dans son arrêt sur le fond, la Cour a conclu à la violation du droit du Requérant à un procès équitable du fait que, durant le procès, la présentation des moyens de la défense avait continué en l'absence du Requérant et qu’aucune assistance judiciaire gratuite ne lui avait été fournie au cours de ces procédures13.
39. La Cour relève cependant que la conclusion du procès du Requérant en son absence et le fait de ne lui avoir pas fourni une assistance judiciaire lui ont causé angoisse et désespoir du fait de l’iniquité qui en a résulté. Cette situation a causé un préjudice moral au Requérant.
40. La Cour conclut que ce préjudice ouvre au Requérant le droit à réparation. Elle a également jugé que l'évaluation des montants à octroyer au titre du préjudice moral devait être faite en toute équité et en tenant compte des circonstances de l'espèce14. Dans de tels cas, la norme générale applicable est d’attribuer des montants forfaitaires15.
41. La Cour considère que la demande du Requérant pour le paiement d’une compensation d’un montant de deux cent trente mille (230 000) dollars des États-Unis est excessive.
42. À la lumière de ce qui précède et usant de son pouvoir discrétionnaire, la Cour octroie donc au Requérant la somme de deux millions (2 000 000) de shillings tanzaniens.
b. Préjudice moral subi par les victimes indirectes
43. Se fondant sur la jurisprudence établie dans l'affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, le Requérant demande à la Cour d'accorder aux victimes indirectes en l’espèce les montants suivants, à titre de réparation :
i. Vingt-cinq mille (25 000) dollars des États-Unis, à son fils, Emmanuel Alex Mallya ;
ii. Quarante-deux mille (42 000) dollars des États-Unis à sa femme ;
iii. Dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis à sa mère, Ester Marmo Maley ;
iv. Dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis, à sa sœur Flora Amos Mallya ;
v. Dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis, à sa sœur Anna Elinisa Swai ;
vi. Dix-sept mille (17 000) dollars des États-Unis, à son frère cadet, John Thomas Mallya.
44. Le Requérant demande à la Cour de prendre en considération le fait que son fils avait à peine deux (2) ans au moment de son arrestation et qu’il n’avait donc pas eu la chance d’être élevé par son père, ni de le connaître et de profiter de sa compagnie. Le Requérant affirme qu’il ne sait présentement pas où se trouve son fils et que celui-ci subit les conséquences de la stigmatisation due au fait d’avoir un père impliqué dans des activités criminelles et de n’avoir pas eu une bonne éducation en raison de l’incarcération de son père. Le Requérant note que sa femme a été profondément touchée par la perte soudaine de son mari.
45. En ce qui concerne la mère du Requérant, celui-ci relève qu’elle a perdu presque vingt (20) de vie avec son fils, a connu l’angoisse et la stigmatisation sociale de savoir qu’il a été impliqué dans quelque chose de criminel, a perdu son soutien financier et connu, en conséquence, d’importantes difficultés financières. Le Requérant indique que son frère et ses sœurs ont profondément souffert de la perte de leur frère, ami et confident et qu’ils ont été contraints de faire de nombreux déplacements pour lui rendre visite en prison. Le frère du Requérant, John Thomas, s’est retrouvé sans personne pour l’encadrer dans ses affaires et a dû prendre en charge les médicaments du Requérant, qui ne sont pas disponibles en prison, et lui fournir de l’argent pour ses besoins au sein de la prison. Le Requérant affirme que son frère a souffert de la stigmatisation liée au fait d’avoir des liens de parenté avec un détenu. Pour ce qui est des sœurs du Requérant, Anna Elinisa Swai et Flora Amos, celui-ci fait valoir qu’elles avaient été obligées de mettre un terme à leurs études à la suite de son arrestation, car c’est lui qui prenait en charge leur éducation, et qu’elles sont aussi souffert de la stigmatisation du fait de leur lien avec un détenu.
46. Citant l’affaire Aloeboetoe v Suriname16, devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, le Requérant demande à la Cour, pour évaluer les préjudices moraux des victimes indirectes, de prendre en considération le fait que la nature de la relation entre le Requérant et les victimes indirectes permet de supposer que l’appui qu’il leur fournissait se serait poursuivi s’il n’avait pas été emprisonné.
47. L'État défendeur conteste la demande de réparation en faveur des victimes indirectes et fait valoir qu’il n’y a pas d’éléments de preuve de la filiation entre ces victimes alléguées et le Requérant ou attestant que celui-ci était leur soutien, pour justifier le paiement des montants indiqués.
48. L’État défendeur conteste également ces montants, du fait que le Requérant ignore où se trouve son fils présumé, qu’il n’est plus avec son épouse et que la rupture des relations familiales serait peut-être survenue avant sa condamnation. L’État défendeur soutient également qu’il n’existe pas non plus de preuve que l’État défendeur puisse, de quelque manière que ce soit, être responsable de la rupture des relations familiales du Requérant, comme le soutient celui-ci. L’État défendeur conclut que le calcul du montant demandé ne repose sur aucune base.
* * *
49. La Cour tient à rappeler que la réparation du préjudice moral s'applique également aux proches des victimes d'une violation de droits de l'homme, résultat des souffrances et de la détresse indirectes. Comme indiqué dans l'affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, il est évident que « la question de savoir si une personne donnée peut être considérée comme l'un des plus proches parents ayant droit à réparation est à déterminer au cas par cas, en fonction des circonstances de chaque affaire17 ».
50. À cet égard, dans l'affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, la Cour a conclu que les conjoints, les enfants et les pères et mères pouvaient revendiquer la qualité de victimes indirectes18. Sur cette base, les personnes susceptibles d’avoir droit à réparation pour préjudice moral sont le fils du Requérant, Emmanuel Alex Mallya, son épouse19 et sa mère, Ester Marmo Maley.
51. La Cour a déclaré que les époux devaient produire des actes de mariage ou toute preuve équivalente, que les enfants devaient présenter leur acte de naissance ou toute autre preuve équivalente de leur filiation, et que les parents devaient présenter une attestation de paternité ou de maternité ou toute autre preuve équivalente20.
52. La Cour note que l’identité de l'épouse du Requérant n'a été indiquée nulle part dans le dossier. Le Requérant déclare avoir perdu son épouse qui s'est, depuis, remariée. En outre, dans une lettre datée du 27 novembre 2015 adressée à l’UPA et jointe à ses observations sur les réparations, il précise qu'il a perdu le contact avec son épouse depuis l'an 2000, date à laquelle son premier appel a été rejeté par la Haute Cour. Dans ces circonstances, le Requérant ne peut donc pas soutenir que son épouse a subi un préjudice moral en raison des violations constatées et de son incarcération. Cette demande est par conséquent rejetée.
53. Le Requérant a fourni une copie certifiée conforme de l'acte de naissance de son fils, Emmanuel Alex Mallya. Toutefois, dans ses observations, il déclare avoir vu son fils pour la dernière fois en 2002 et ne pas savoir où il se trouve actuellement. Dans ces conditions, le Requérant ne peut donc pas soutenir que son fils a subi un préjudice moral en raison des violations constatées et de son incarcération. Cette demande est par conséquent rejetée.
54. En ce qui concerne sa mère, Ester Marmo Maley, la Cour relève que le Requérant n’a pas fourni la copie de son acte de naissance ou tout autre document attestant qu’elle est sa mère.
55. La Cour fait observer que la mère du Requérant a affirmé dans une déclaration sous-serment en date du 26 février 2016 que, suite au décès de son mari, Thomas Mallya, en 1984, le Requérant, leur premier enfant, est devenu le soutien de la famille, prenant soin d'elle et de ses quatre (4) frère et sœurs. Outre cette déclaration sous serment, le Requérant a déposé une copie certifiée conforme de la carte d’électeur de sa mère. L’État défendeur n’a pas contesté la véracité de ces preuves. La Cour estime que la copie certifiée conforme de la carte d’électeur prouve l’identité de la mère du Requérant et que la déclaration sous serment qu’elle a faite constitue une preuve suffisante de sa filiation avec le Requérant.
56. Ayant conclu que le Requérant a prouvé qu'Ester Marmo Maley est sa mère, la Cour estime qu'elle a enduré, du fait des violations subies par le Requérant, l’angoisse émotionnelle qui découlent de manière inhérente et naturelle de l’incarcération d’un enfant, comme ce fut le cas pour le Requérant. Le fait que la mère du Requérant était veuve et s’appuyait sur son soutien affectif, car il était l’aîné des enfants de la famille, constituait un facteur aggravant.
57. S'agissant de la question du montant de la réparation à octroyer pour le préjudice moral subi par Ester Marmo Maley, mère du Requérant, la Cour estime qu'un montant d’un million cinq cent mille (1 500 000) de shillings tanzaniens constitue une juste compensation.
58. Pour ce qui est du préjudice moral subi par les deux (2) sœurs du Requérant, Flora Amos Mallya et Anna Elinisa Swai, ainsi que par son frère, John Thomas Mallya, la Cour rappelle sa position selon laquelle leur statut de victime doit être établi pour justifier des réparations21. Ils ont tous fait des déclarations sous serment datées du 26 février 2016 attestant de leur filiation avec le Requérant. Outre ces déclarations sous serment, le Requérant a fourni des copies certifiées conformes de leurs cartes d’électeur. L’État défendeur n’a pas contesté la véracité de ces preuves. La Cour relève que les copies certifiées conformes des cartes d’électeur prouvent l’identité du frère et des sœurs du Requérant et que les déclarations sous serment qu’ils ont faites constituent une preuve suffisante de leur lien de parenté avec le Requérant.
59. Tout comme la mère du Requérant, ses sœurs et frères ont souffert d’angoisse et leurs conditions sociales se sont détériorées, à la suite de l’incarcération du Requérant d’où un préjudice moral qui leur donne droit à réparation.
60. Par conséquent, la Cour estime qu'un montant d'un million (1 000 000) de shillings tanzaniens équivaut à une indemnisation équitable pour chacun de ses frères et sœurs, à savoir Flora Amos Mallya, Anna Elinisa Swai et John Thomas Mallya.
B. Réparations non pécuniaires
i. Remise en liberté
61. Invoquant la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme selon laquelle lorsqu’une victime a été déclarée coupable à l'issue d'un procès inéquitable, son droit à réparation prévoit l'obligation, pour l'État, de déclarer « nulles et non avenues» toutes les pièces relatives au procès et à la déclaration de culpabilité, le Requérant demande à la Cour d’ordonner sa remise en liberté22.
62. Le Requérant cite également la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples selon laquelle lorsque les conditions du procès sont jugées inéquitables, l'État peut être enjoint à remettre les détenus en liberté23 et fait valoir que cela devrait s'appliquer en l'espèce.
63. Le Requérant ajoute que la remise en liberté dans les affaires d'arrestation et de détention arbitraires est une mesure de réparation importante qui peut également contribuer à prévenir de nouvelles violations. Il soutient en outre que les violations qu’il a subies se poursuivent encore car il est toujours détenu sur la base d'une condamnation entachée de plusieurs violations de ses droits fondamentaux.
64. L'État défendeur conteste la demande de remise en liberté formulée par le Requérant. Il fait valoir que le Requérant est en prison pour une infraction réprimée par la loi et que lorsqu’un individu, comme le Requérant, a causé des souffrances aux victimes en commettant un vol à main armée et qu’il est légalement jugé, reconnu coupable et condamné, il n’est alors pas fondé à bénéficier d’une remise en liberté, étant donné que tout préjudice qu’il aurait subi ne serait que de son propre fait. Le Requérant fait aussi valoir que la Cour n'ayant pas ordonné sa libération dans l'arrêt sur le fond, cette demande est devenue caduque et constitue en réalité un outrage à la Cour.
***
65. En ce qui concerne la demande du Requérant d’être remis en liberté, la Cour relève qu’il ressort de la correspondance du Requérant reçue le 3 décembre 2018 qu’il a été libéré le 2 juin 2018, après avoir purgé sa peine. Sa demande de remise en liberté est dès lors sans objet.
ii. Garanties de non-répétition et rapport sur la mise en œuvre
66. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l'État défendeur de garantir la non-répétition des violations de ses droits. Il demande également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de faire rapport à la Cour tous les six (6) mois, jusqu’à la mise en œuvre complète des mesures que la Cour rendra dans son arrêt sur les réparations.
67. L'État défendeur conteste les demandes du Requérant et soutient qu'il est difficile de dire de quelles violations il s’agit, les constatations relatives aux droits dont la violation est alléguée ayant été précisées par la Cour dans son arrêt du 20 novembre 2015. L'État défendeur soutient également que la Cour lui a déjà ordonné de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux violations constatées, à l’exclusion de la reprise de la présentation des moyens de la défense ou de la reprise du procès.
***
68. La Cour estime, conformément à sa conclusion dans l’affaire Armand Guéhi c. Tanzanie, que si les garanties de non-répétition s'appliquent généralement en cas de violations systémiques24, elles sont aussi pertinentes pour les cas individuels dans lesquels les violations n’ont pas cessé ou sont susceptibles de se reproduire ou sont de nature structurelles25.
69. Étant donné que celui-ci a déjà été libéré, la Cour n’estime pas nécessaire de rendre une ordonnance de non-répétition des violations des droits du Requérant, dans la mesure où il n’existe aucune possibilité que de telles violations se reproduisent à son encontre26. La Cour note également que dans son rapport déposé le 3 janvier 2017 sur l'exécution de l’arrêt sur le fond, l'État défendeur a informé la Cour du projet de loi sur l'assistance judiciaire, qui vise à mettre en place un cadre général pour l’assistance judiciaire en faveur des justiciables indigents, tant en matière civile que pénale. La loi sur l’assistance judiciaire a été adoptée par le Parlement de l’État défendeur le 21 février 2017 et publiée dans le Journal officiel en mars 2017. La Cour relève qu’il s’agit là d’une mesure qui garantit la non-répétition des cas dans lesquels les justiciables indigents ne bénéficient pas d’assistance judiciaire. La demande est donc rejetée.
70. En ce qui concerne l’ordre de rendre compte de la mise en œuvre du présent arrêt, la cour réitère l’obligation de l’État défendeur telle que définie à l’article 30 du Protocole. La Cour note qu’un tel ordre est consubstantiel à ses arrêts dans lesquels il enjoint à l’État défendeur ou à toute autre partie de mener une action précise.
iii. Mesures de satisfaction
71. Le Requérant demande à la Cour d’enjoindre à l'État défendeur de publier l'arrêt du 20 novembre 2015 au Journal Officiel, en anglais et en Kiswahili, à titre de mesure de satisfaction.
72. Le Requérant demande en outre à la Cour d’ordonner à l'État défendeur de lui faire rapport tous les six (6) mois jusqu'à l’exécution complète des mesures qu'elle aura ordonnées suite à l’examen des demandes de réparation.
73. Pour sa part, l’État défendeur soutient que l’arrêt rendu par la Cour était une mesure de satisfaction équitable et que le Requérant n'est donc pas en droit de réclamer d'autres mesures de satisfaction.
* * *
74. La Cour estime que même si un arrêt peut en soi constituer une forme de réparation satisfaisante27, elle peut toutefois, suo motu, ordonner d’autres mesures de satisfaction qu’elle juge appropriées. Les circonstances qui justifient que la Cour prenne de telles ordonnances supplémentaires en l’espèce se rapportent à la nécessité de souligner et de faire mieux connaître l’obligation de l’État défendeur de réparer les violations constatées dans le but de renforcer l’application de l’arrêt. Pour que l’arrêt fasse l’objet de la plus large publication possible, la Cour estime que la publication de l’arrêt sur le fond et du présent arrêt sur les réparations sur les sites Internet des services judiciaires et du ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques et le maintien de son accessibilité pendant au moins un (1) an après sa date publication, constituent une mesure de satisfaction supplémentaire appropriée.
VI. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
75. Dans l’arrêt sur le fond, la Cour a indiqué qu’elle se prononcerait sur la question des dépens au moment où elle abordera le point relatif aux réparations28.
76. Aux termes de l’article 30 du Règlement, « À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
77. La Cour rappelle que, comme elle l’a constaté dans ses arrêts précédents, la réparation peut comprendre le paiement de frais de justice et autres dépenses encourues en rapport avec les procédures internationales29. Le Requérant doit justifier les montants réclamés30.
A. Frais d’avocat en rapport avec la procédure devant la Cour de céans
78. Le Requérant demande à la Cour d'accorder les réparations suivantes au titre des honoraires d'avocat :
i. Honoraires d’avocat pour quatre cents (400) heures de prestations: trois cents (300) heures pour deux conseils assistants et cent (100) heures pour le conseil principal. Ce montant est facturé au taux de deux cents (200) dollars des États-Unis l’heure pour les conseils principaux et cent cinquante (150) dollars des États-Unis l’heure pour les conseils assistants. Le montant total s'élève à vingt mille (20 000) dollars des États-Unis pour le conseil principal et à quarante-cinq mille (45 000) dollars des États-Unis pour les deux conseils adjoints.
ii. Les honoraires de l'avocat pour l’assistance fournie durant l'enquête, ainsi que pour la rédaction et la préparation des déclarations sous serment de la mère, du frère et des sœurs du Requérant s'élèvent à neuf cent cinquante-deux (952) dollars des États-Unis.
iii. Le montant total des honoraires (pour le conseil principal, les assistants et l'avocat) s’élève à soixante-cinq mille neuf cent cinquante-deux (65 952) dollars des États-Unis.
79. L’État défendeur conteste la demande de remboursement des honoraires d’avocat au motif que le conseil qui a fourni une assistance au Requérant avait été commis par la Cour de céans et que cette demande est donc sans fondement.
* * *
80. En matière de frais de justice, la Cour de céans, dans l’affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, a estimé que « […] la réparation versée aux victimes de violations des droits de l’homme peut également inclure le remboursement des frais d’avocat31 ».
81. La Cour note que l’UPA a représenté le Requérant à titre gracieux dans le cadre du Programme d’assistance judiciaire en vigueur à la Cour32. La demande est donc injustifiée et rejetée en conséquence.
B. Frais de transport et frais de papeterie
82. Se fondant sur le précédent établi dans l'affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, le Requérant demande à la Cour d'accorder les réparations suivantes au titre des frais de transport et de papeterie engagés :
i. Frais d'impression, de photocopie et de reliure s'élevant à mille (1 000) dollars des États-Unis ;
ii. Frais de voyage du conseil principal et de son assistant à Addis-Abeba (Éthiopie) en décembre 2014 pour participer à l'audience publique. Les billets d’avion, les frais de taxi et d’hôtel, les indemnités journalières s'élèvent à deux mille neuf cent quarante-sept (2 947) dollars des États-Unis, les frais de transport aller-retour entre le Siège de la Cour africaine et le Secrétariat de l'UPA s'élèvent à cent trente-neuf (139) dollars des États-Unis et les coûts de communication à mille (1 000) dollars des États-Unis ;
iii. Les frais de voyage à destination et en provenance de la prison de Karanga s'élèvent à trois cent quatre-vingt (380) dollars des États-Unis ;
iv. Le transport des proches du Requérant vers Arusha pour les déclarations sous serment s'élève à cinquante-deux (52) dollars des États-Unis.
83. L'État défendeur conteste ces prétentions et, invoquant l’affaire Mtikila, fait valoir que le Requérant était représenté à titre gracieux et que, de ce fait, les frais de transport et de papeterie réclamés sont injustifiés. L’État défendeur ajoute que, lorsqu’il représente un client à titre gracieux, le conseil perçoit de la Cour des fonds suffisants pour couvrir les frais encourus ainsi que les honoraires d’avocat. De plus, le représentant légal est basé au siège de la Cour à Arusha.
84. L'État défendeur soutient, bien que ce soit une erreur, que la Cour ayant ordonné, dans son arrêt du 20 novembre 2015, que le Requérant supporte ses propres frais, la Cour devrait rendre la même ordonnance en ce qui concerne les réparations.
* * *
85. La Cour rappelle sa position dans l’affaire Christopher Mtikila, dans laquelle elle a conclu que : « les frais et les dépens font partie du concept de réparation33 ».
86. La Cour considère que les frais de transport sur le territoire tanzanien et les frais liés à la papeterie appartiennent à la « catégorie des frais pris en charge » dans le cadre de la politique d’assistance judiciaire de la Cour34. De ce fait, étant donné que l’UPA a représenté le Requérant à titre gracieux, les demandes de remboursement de ces frais sont injustifiées et donc rejetées.
87. En ce qui concerne les frais de transport et d'hébergement pour les déplacements des conseils du Requérant à Addis-Abeba (Éthiopie) pour assister à l'audience publique, la Cour rappelle sa position dans l'affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, selon laquelle « la réparation due aux victimes des violations des droits de l’homme peut également inclure le remboursement des frais de transport et des frais de séjour de leurs représentants à son siège, pour les besoins de l’affaire 35 ».
88. La Cour a programmé l'audience publique en l’espèce lors de la session tenue à Addis-Abeba (Éthiopie). Ces coûts sont nécessaires et ont effectivement été encourus, comme en témoignent les preuves de paiement et les pièces justificatives fournies par le conseil du Requérant pour un montant de deux mille neuf cent quarante-sept (2 947) dollars des États-Unis. La Cour constate que dans ces circonstances, ces dépenses, au montant de deux mille neuf cent et quarante-sept (2947) dollars des États-Unis, devraient être couvertes par son Programme d’assistance judiciaire plutôt que par l’État défendeur.
89. Dans ces circonstances, la Cour décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.
VII. DISPOSITIF
90. Par ces motifs,
LA COUR,
À l'unanimité:
Sur les réparations pécuniaires
i. Rejette la demande de compensation pour le préjudice matériel invoqué par le Requérant pour perte de revenus et de son projet de vie ;
ii. Rejette la demande relative à la réparation du préjudice moral subi par son fils Emmanuel Alex Mallya et son épouse, en tant que victimes indirectes ;
iii. Fait droit à la demande de réparation du Requérant pour le préjudice moral subi par lui ainsi que les victimes indirectes, et leur accorde une indemnisation comme suit :
a. deux millions (2 000 000) de shillings tanzaniens au Requérant ;
b. un million cinq cent mille (1 500 000) shillings tanzaniens à la mère du Requérant, Esther Mamo Maley ;
c. un million (1 000 000) de shillings tanzaniens à chacune des sœurs et au frère du Requérant, Flora Amos Mallya et Anna Elinisa Swai et John Thomas.
iv. Ordonne à l'État défendeur de payer les montants indiqués aux alinéas (iii)(a) ; (b) et (c) ci-dessus, en franchise d’impôts, dans un délai de six (6) mois à partir de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il payera également des intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable fixé par la Banque centrale de la République-Unie de Tanzanie, pendant toute la période du retard de paiement, jusqu'au paiement intégral des sommes dues ;
Sur les réparations non pécuniaires
v. Rejette la demande de remise en liberté du Requérant au motif qu’elle est devenue sans objet ;
vi. Rejette la demande relative à la non-répétition des violations constatées ;
vii. Ordonne à l'État défendeur de publier, à titre de mesure de satisfaction, l'arrêt sur le fond rendu le 20 novembre 2015 ainsi que le présent arrêt sur les réparations, dans un délai de trois (3) mois à compter la notification du présent arrêt, sur les sites Internet de la magistrature et du ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques et de les rendre accessibles au moins un (1) an après la date de cette publication.
Sur la mise en œuvre et les rapports
viii. Ordonne à l'État défendeur de faire rapport dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt sur les mesures prises pour le mettre en œuvre et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu'à ce que la Cour soit satisfaite que l’arrêt a été intégralement exécuté.
Sur les frais de procédure
ix. Rejette la demande relative au paiement des frais et autres dépenses engagées dans la procédure devant la Cour de céans ;
x. Dit que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé:
Sylvain ORÉ, Président;
Ben KIOKO, Vice-président;
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge;
Ângelo V. MATUSSE, Juge;
Suzanne MENGUE, Juge;
M-Thérèse MUKAMULISA, Juge;
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge;
Chafika BENSAOULA, Juge;
Blaise TCHIKAYA, Juge;
Stella I. ANUKAM, Juge;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce quatrième jour du mois de juillet de l'année deux mille dix-neuf, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
1 S’agissant de la demande no (4) formulée par l’État défendeur, il y a lieu de noter que dans la Requête no 005/2013. Arrêt du 20/11/2015 (Fond), Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Alex Thomas c. Tanzanie (Fond) »), § 161 (viii), la Cour « décide de rejeter la demande du Requérant visant à ordonner sa remise en liberté ».
2 Requête no 007/2013. Arrêt du 03/6/2016 (Fond), Mohamed Abubakari c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après désigné « Mohamed Abubakari c. Tanzanie »), § 242 (ix).
3 Requête no 003/2014. Arrêt du 07/12/2018 (Réparations), Ingabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda (ci-après désigné « Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda (Réparations) »), § 19.
4 CPJI, Usine de Chorzow, Allemagne c. Pologne, (Compétence), (Demande en indemnités), (Fond), 26/07/1827, 16/12/1027 et 13/09/1928, Rec. 1927, p. 47.
5 Ingabire Umuhoza c. Rwanda (Réparations), § 20.
6 Requête no011/2011. Décision du 13/6/2014 (Réparations), Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations) »), § 40; Requête no004/2013. Arrêt du 3/6/2016 (Réparations), Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (ci-après désigné « Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Réparations) », § 15.
7 Ingabire Umuhoza c. Rwanda (Réparations), § 45.
8 Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) Affaire Aloeboetoe et al c. Surinam, Arrêt du 10 septembre 1993, (Réparations et Frais de Justice) § 68.
9 Affaire Loayza-Tamayo c. Pérou (CIADH), Arrêt du 17 septembre 1997 § 150.
10 Requête n°013/2011, Arrêt du 05/06/2015 (Réparations) Norbert Zongo et Autres c. Burkina Faso (ci-après désigné « Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), §24.
11 Christopher Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 31.
12 Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 34.
13 Alex Thomas c Tanzanie (Fond) §§ 86 – 99 et §§ 114-124.
14 Voir Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 61.
15 Ibid, § 62.
16 Affaire Aloeboetoe et al c. Surinam, Arrêt du 10 septembre 1993, (Réparations et Frais de justice).
17 Voir Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 49.
18 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 50 (i) à (iii).
19 L’identité de l’épouse du Requérant n’est indiquée nulle part dans les observations de celui-ci.
20 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 50 (i) à (iii).
21 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), §§ 45 à 54.
22 Affaire Loaysa-Tamayo c. Pérou, Arrêt du 17 septembre 1997.
23 Communication no 334/06, Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights c. République arabe d’Égypte, Views 01/03/2011 §. 233(VI).
24 Armand Guéhi c. Tanzanie (Fond et Réparations), § 191 ; Voir aussi Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), §§ 103 à 106.
25 Armand Guéhi c. Tanzanie (Fond et Réparations), §191 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 43.
26 Armand Guéhi c. Tanzanie (Fond et Réparations), §§ 191 et 192.
27 Armand Guéhi c. Tanzanie (Fond et Réparations), § 194 ; Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 45.
28 Alex Thomas c. Tanzanie (Fond et Réparations), § 160.
29 Voir Norbert Zongo et Autres c. Burkina Faso (Réparations), §§ 79-93 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 39.
30 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 81 ; et Révérend R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 40.
31 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations) § 79.
32 À la demande de la Cour, l’Union panafricaine des avocats a accepté de représenter le Requérant à titre gracieux.
33 Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (sic) (Réparations), [Mtikila § 39].
34 Politique d’assistance judiciaire de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples 2013-2014, Politique d’assistance judiciaire 2015-2016, Politique d’assistance judiciaire à partir de 2017.
35 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations), § 91.
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